« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

samedi 15 octobre 2011

Maisons et séismes... 家と震災


Voici le document que j'ai trouvé dans le bloc-note que nous faisons circuler de maison en maison dans le proche voisinage pour diffuser des informations données par l'arrondissement.
回覧板から
"Demain peut-être un grand séisme !
Votre maison est-elle sûre ?
ANTISISMIQUE
Les maisons construites en bois avant Shôwa 56 (1981) selon les anciennes normes parasismiques, risquent à 95% de s'effondrer lors d'un tremblement de terre de degré VI fort (sur l'échelle japonaise)."
Au recto du document, il est dit que la probabilité à Tokyo d'un séisme de magnitude supérieur à 7 est de 70% dans les 30 années à venir
Ces données ne sont pas un scoop ici, personne ne tombe à la renverse en les lisant. Face à une telle probabilité, il vaut mieux se préparer, et l'arrondissement de Edogawa propose des aides sur lesquelles il informe : visite et expertise gratuites des maisons ou immeubles d'habitation par un spécialiste, financements si des travaux sont nécessaires. L'arrondissement prend en charge le coût des études techniques avant travaux.
 
A Tokyo, la durée de vie moyenne d'une maison individuelle est de 26 ou 27 ans, même si elle va en augmentant légèrement. Une maison de 20 ans est une très vieille maison qui n'a plus aucune valeur. Seul le terrain conserve la sienne, il en est de même pour les appartements en copropriété, d'où le désir bien compréhensible de posséder un terrain à soi, avec une petite maison que l'on fait rebâtir régulièrement. 
Pendant longtemps, je trouvais ce cycle de démolition-reconstruction assez artificiel, encore une forme d'obsolescence programmée. En fait, les maisons souffrent réellement des multiples secousses sismiques, dont certaines, sans être visiblement destructrices, sont violentes. A la longue, les structures puis le reste fatiguent. 
De plus, comme ce document le suggère, les normes évoluent, sont mises à jour à chaque catastrophe qui ajoute de nouveaux cas de figure, en matière de construction et d'infrastructures comme d'organisation sociale. L'expérience est prise en compte, par exemple dans la prévention des incendies qui pendant longtemps ont été le fléau majeur causé par les séismes. En 1923, Tokyo a été pour plus de la moitié détruite par les flammes, et encore en 1995 à Kôbe, les incendies ont ravagé les anciens quartiers de vieilles maisons en bois vulnérables, mais n'ont pas ou peu touché les quartiers plus récents.

L'année 1981, citée dans le document, est celle d'un violent séisme à Niigata sur la côte de la mer du Japon. Après 1995, nouvelle révision à la suite du séisme de Kôbe, notamment dans les plans de circulation. Et dans la foulée, la loi a élargi les prérogatives des NPO (non profit organization) à celle de personne morale, donnant la possibilité aux associations, nombreuses sur le terrain ce qui reflète le renouveau de l'engagement de la société civile, d'être maître d’œuvre de projets (loi sur l'urbanisme participatif de 1998). 
Après 1923 et le terrifiant séisme du Kantô, le rôle de lieux de refuge a été assigné aux écoles publiques, une fonction importante qu'elles conservent. A cette fin, chacune est dotée d'un grand gymnase, d'une vaste cour, et si possible d'un petit jardin public adjacent. L'école reste donc ouverte et accessible en permanence, d'où son intégration très forte dans le quartier. Le gymnase, la cour, sont utilisés le soir, le week-end, pendant les vacances par les enfants, des clubs, des activités diverses. Ce sont des équipements utilisés à plein. De strictes contingences, naissent des ressources et des intrications fertiles entre le spatial et le social.
En ce moment, ce sont les villes littorales qui revoient leur plan d'évacuation en cas de tsunami, comme par exemple Kamakura, ville patrimoniale près de Tokyo, qui a entrepris des recherches historiques pour retrouver les traces, dans les archives et dans les sols, des plus anciens raz de marée et a déjà redessiné de nouvelles limites sécurisées qui prennent en compte ces mémoires enfouies.
Les villes s'agrandissent, se densifient, se complexifient. Ce sont de nouveaux problèmes qui surgissent, des solutions qui inlassablement doivent être recherchées, comme par exemple au problème de la liquéfaction des sols sur les comblements artificiels en bord de mer, sous l'effet des vibrations sismiques.
Rideau de volubilis, en septembre dans mon quartier...江戸川区に、9月の 朝顔のカーテン
Déjà en 1212, Kamo no Chômei, moine et poète, écrivait dans un texte magistral, Notes de ma cabane de dix pieds : 

« Les maisons et leurs habitants sont semblables par l’impermanence, tout disparaît et fait penser à la rosée sur le volubilis du matin. Tantôt la goutte de rosée tombe et la fleur demeure ; la fleur demeure sans doute, mais bientôt se fane aux rayons du soleil levant. Tantôt la fleur se flétrit, tandis que la rosée reste mais elle ne dure jamais jusqu’au soir. »

La pérennité de l'architecture n'est pas un concept qui va de soi au Japon. Au contraire, le sens de l'impermanence est profondément ancré dans la culture japonaise. Rien de doloriste dans cette conscience qui aiguise la sensibilité aux détails et l'appréciation des plus infimes expressions de la vie au fil du temps, des saisons.
Le kinmokusei de mon jardin... 家の庭の金木犀
En ce moment, c'est le kinmokusei (金木犀、Osmanthus fragrans) qui est en pleine floraison, arbre couvert de petites fleurs orangées et odoriférantes. Une des rares plantes parfumées de l'abondante flore japonaise.
Profitons du meilleur en préparant le pire. 
 

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