« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

samedi 28 septembre 2013

Un monde hors du monde... 世界を離れている世界

Un journaliste et photographe indépendant, Kino Ryûichi 木野龍逸, s'est rendu en juin, pour la quatrième fois, à Fukushima.
Il a rapporté une série d'images de la zone interdite dans un rayon de 20km autour de la centrale en dévastation, requalifiée depuis mai dernier en "zone de retour impossible dans un délai de cinq ans".
Pour voir toutes les images, cliquez sur ce lien.
Des sacs de matières contaminées
On voit de tels sacs remplis de terre ou de végétaux, provenant des chantiers de "décontamination", depuis les fenêtres du Shinkansen (TGV) qui va vers le nord, un peu avant la ville de Fukushima, au bord des champs. Sacs de terre, réservoirs d'eau, l'asphyxie du territoire s'étend. Jusqu'où ?
Sacs à perte de vue, dont on ne sait que faire

Chemin de fer abandonné
Ville abandonnée
Littoral abandonné après le tsunami, un autel honore des disparus
C'est le culte rendu aux morts qui seul témoigne du passage des vivants dans cette zone de non-lieu.
Campagne abandonnée
"L'énergie nucléaire pour construire une société et une ville riches" clame le portique installé à l'entrée du bourg de Futaba, commune sur laquelle la moitié de la centrale de Fukushima est implantée. 
Sur une autre image, un portique proclame "Le nucléaire, énergie d'un futur lumineux".

vendredi 13 septembre 2013

"Let me assure you the situation is under control."

Vol Air France, quelque part dans le ciel entre Paris et Tokyo dans la nuit de samedi à dimanche. Une hôtesse japonaise prend le micro : 
"J'ai une très bonne nouvelle à annoncer, Tokyo vient d'être choisi pour organiser les Jeux Olympiques de 2020.
Dans l'avion, quelques applaudissements et expressions de joie, enthousiasme modéré (la population de Tokyo était la moins motivée pour soutenir l'organisation des JO, à peine 60% contre l'immense majorité des Stambouliotes ou des Madrilènes). L'annonce faite en japonais n'est traduite ni en français, ni en anglais, comme quoi, les valeurs soit-disant universalistes de l'olympisme flattent avant tout (seulement ?) la ferveur nationale.

A Tokyo, dimanche 8 septembre, tous les médias, télévisions, journaux, panneaux d'affichages, enchaînent éditions et programmes spéciaux, on frise la saturation.

Pour soutenir le gouverneur de Tokyo, le premier ministre Abe Shinzô avait fait le déplacement à Buenos Aires. Dans son discours devant le jury, il n'avait pas prévu de parler de Fukushima mais la délégation sur place lui fit comprendre que, plutôt d'attendre les inévitables questions à ce sujet, il valait mieux prendre les devants. Même si les membres du comité olympique, pour diverses raisons, avaient déjà fait leur choix (stratégies européennes pour 2024, inquiétudes sur la situation sociale et économique en Turquie, garantie et sécurité assurées en choisissant le Japon -le nucléaire fait moins peur que l'islam -), personne ne pouvait complètement éluder la question de Fukushima après le feuilleton des fuites d'eau radioactives pendant tout l'été.

Dans un anglais laborieux, Abe assura donc à certains qui s'inquiétaient à propos de la centrale de Fukushima, que la situation était sous contrôle. Que l'eau contaminée ne sortait pas des limites du port de la centrale, et que surtout Tokyo n'était en rien concerné par ce qui se passait là-bas. Il conclut en disant que, sous le ciel bleu de la ville de Fukushima, les enfant jouaient au ballon et que la désignation de Tokyo serait une grande joie pour eux, un réconfort pour tous les habitants de la région touchée par le séisme et le tsunami de mars 2011.
Le site de la ville de Fukushima, entre rivière et montagnes. La rivière Abukuma accueille en hiver de nombreux cygnes et canards qui descendent de Sibérie... 福島市に於ける阿武隈川
Images Sb prises le 11 mars 2013

Les habitants de la région concernée en premier lieu, mais aussi beaucoup de personnes à Tokyo, ont été consternés par de tels propos mensongers. Les pêcheurs du département de Fukushima, interdits d'activité à cause de la contamination des eaux du littoral, ont fait savoir leur colère. C'est leur situation qui est niée ! Lundi 9 septembre, lors de la conférence de presse hebdomadaire sur la situation à la centrale de Fukushima, les journalistes ont demandé aux responsables de Tepco en face d'eux s'ils pouvaient confirmer les propos du premier ministre. Gros embarras. Le gouverneur de la préfecture de Fukushima a fait connaître aussi sa stupeur et a annoncé qu'il interprétait les propos de Abe comme un engagement du gouvernement et de l'Etat à prendre la responsabilité totale du chantier, décrit comme "un hôpital sur un champ de bataille" par un dirigeant de Tepco. 
Sous le ciel bleu de Fukushima, toutes les écoles, les crèches, les jardins publics sont équipés d'appareils qui mesurent la radioactivité
Photos Sb prises le 11 mars 2013
Pendant ce temps, les eaux souterraines qui descendent des montagnes vers la mer, continuent à se charger de cesium et de tritium en passant sous la centrale. Les divers moyens mis en oeuvre pour essayer de bloquer ces flux ont tous échoué, d'autres vont être tentés comme congeler les sols pour former une barrière, après l'échec du mur de béton ou de l'injection de gélifiants. Au coup par coup il faut inventer des réponses à des problèmes inconnus et mal cernés, aucune solution globale n'est disponible. Les centaines de réservoirs d'eau encore plus contaminée (fuyant aussi) qui occupent aujourd'hui la majeure partie du site et des ouvriers, représentent d'après un spécialiste un danger potentiellement plus préoccupant que les eaux souterraines. Et vendredi 13 septembre, de la vapeur blanche dont la cause reste inexpliquée a été à nouveau observée.
Des réservoirs qui s'étendent à perte de vue... 汚染水を移送するための 緊急時用タンク
Photos du site de Fukushima publiées par le Japan Daily Press
Bref, ça fuit, ça fume, ça coule, tous les projecteurs sont braqués sur Fukushima, peut-être pendant peu de temps, mais la dimension des problèmes apparaît très crûment depuis la désignation de Tokyo par le CIO.
L'attitude offusquée des autorités devant les dessins du Canard Enchaîné (qui ont fait la une des journaux japonais) montre que la situation est peut-être sous contrôle mais qu'il suffit de peu pour faire déraper cette belle assurance.
Dessin du Canard Enchaîné paru le 11 septembre

 
Fuku-chan, mascotte proposé par un Américain. Le mauvais esprit est bien partagé... アメリカ人が提案したフクちゃんというロゴとキャラクター