« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

mercredi 25 janvier 2012

Le lycée français de Tokyo a le sens de l'à propos...センスの良い日仏学園

Lundi 23 janvier, mon fils, élève de seconde du lycée français de Tokyo a fait une sortie de classe organisée par le professeur principal, enseignant de mathématiques.
L'objectif : "Découvrir des métiers scientifiques et technologiques en relation avec l’énergie" par des visites d'usines. Deux sites sont au programme, Saint-Gobain et Mitsubishi, dans la région de Tokyo, sans plus d'information.

Quelques jours auparavant, je remplis l'autorisation de sortie en lui demandant quelles sont les productions de ces usines. Il me dit qu'il l'ignore mais que le prof a parlé d'une surprise. Saint Gobain, on peut un peu imaginer (il s'agira en fait d'une unité de production de matériaux isolants en fibre de verre) mais Mitsubishi, c'est un groupe énorme. J'imagine quelque chose en rapport avec les préoccupations actuelles, ce dont on parle au Japon, comme les méga-centrales solaires, ou bien la géothermie, ...
Le soir, à son retour, il m'annonce, très remonté : "Nous avons visité l'usine Mitsubishi de production de combustible nucléaire."
Quoi ! En plein accident nucléaire, la découverte des métiers scientifiques de l’énergie se limite à une usine de barres d'uranium ! J'en suis restée bouche bée. 
Le programme de la journee

Léo m'explique qu'avec ses camarades, ils ont pris un dosimètre, puis enfilé combinaisons, bottes, gants et masques de protection. Je lui demande si les élèves ont posé des questions, il me répond que non, ce sont les divers guides ou films, en français, en anglais, ou en japonais, qui ont parlé tout le temps. Aucun temps de questions, de débat, n’était prévu. 
Et rien à propos de Fukushima, ou de l’après Fukushima. Fukushima ? Ça n'existe pas.
Ça n'existe tellement pas que la carte de localisation des combustibles nucléaires au Japon a carrément supprimé Tepco ! (rectification importante : cette carte représente les clients de Mitsubishi Nuclear Fuel, dont Tepco ne fait pas partie car utilisant une autre technologie).


Il semble évident qu'après l'accident de Fukushima, toujours en cours, la réflexion sur l'avenir de toute la filière nucléaire est forcement posée aux industriels concernés. Déjà, comment un tel accident est vécu, intégré dans la logique industrielle ? Faire comme si rien ne s'est passé, c'est tout simplement malhonnête. Et ainsi conduite, cette visite prend des airs de propagande.
Les documents ramenés présentent le cycle de l'uranium, depuis la mine, exploitée par de jolies poupées roses, jusqu'au mox, comme un cycle ininterrompu, parfait, continu. Les déchets ? Quels déchets ? Et bientôt, apprend-on, au Japon arrivera le J-mox nouveau, production locale. En voila une bonne nouvelle. 
Le cycle du combustible nucléaire
A la fin de la journée, les élèves ont reçu un questionnaire à remplir pour leur faire restituer le contenu de leur visite. Avec cette question : "Quels sont les trois E (en anglais) que doit prendre en compte dans ses choix la politique énergétique ?". La réponse se trouve dans les documents fournis par Mitsubishi : Economy, Environmental conservation, Energy security. Ce slogan résume les arguments classiques du choix du nucléaire, qui produirait de l’électricité bon marché, de façon indépendante et en relâchant peu de CO2.
Les 3 E... エネルギーの3Eのモットー


Dans la situation actuelle du Japon, on peut goûter la pertinence des arguments. Le Japon se retrouve aujourd'hui avec 3 réacteurs (sur 54) en fonctionnement et doit suppléer à ces carences dans l'urgence. D'un point de vue économique, l’État est en train de nationaliser Tepco qui est incapable de faire face aux paiements des dédommagements. Quant à la conservation de l'environnement, c'est sans commentaire.
Répondre à cette question des trois E aujourd'hui au Japon, c'est soit du second degré et je n'ai pas le même sens de l'humour, ou soit c'est prendre nos enfants pour des buses.

Une raison, pragmatique, de cette visite : un cadre français, dirigeant de cette unité de production dont 30% est détenu par Areva, est père d'une élève de la classe.

J'ai fait part de mon grand étonnement sur ce choix de visite, et surtout la manière de l'effectuer, à une association de parents d’élèves. J'attends la suite, s'il y en a une.

mardi 17 janvier 2012

17 janvier 1995, il y a 17 ans à Kôbe... 阪神・淡路大震災から17日で17年になり

Bougies dans des bambous taillés en biseau... 竹の中にろうそくを点して photo journal Asahi
Jour de recueillement à Kôbe en mémoire des victimes du séisme du 17 janvier 1995, cela fait 17ans. Peu avant 6h du matin, à l'heure à laquelle se produisit le tremblement de terre, 6434 bougies, évocation de chaque victime, ont été allumées par des enfants en un grand cercle. En d'autres lieux se sont des arbres, des spirales que les petites flammes des bougies ont dessinés. 
Ces cérémonies sont toujours très belles, très émouvantes et vivantes à la fois. Les petites lueurs vacillantes rappellent la fragilité de la vie, apportent consolation aux âmes en peine des êtres arrachés à la vie violemment, et plus sûrement encore à ceux qui restent et partagent ces instants. 
Cette année, des habitants du Tôhoku frappé en mars sont venus se joindre aux cérémonies de Kôbe. Pourtant rien de morbide dans ces événements organisés et vécus par les habitants eux-mêmes, acteurs de leur commémoration.
Photo journal Mainichi
Pour ceux qui s'intéressent à la question des liens entre la culture japonaise et la nature, voici une très intéressante émission de radio, sur France Culture, rediffusée le samedi 7 janvier, après une première diffusion en juillet : 

Concordance des temps, de Jean-Noël Jeanneney, sur le thème "les Japonais et la nature", avec un historien spécialiste du Japon, Pierre-François Souyri. 
Ça dure une petite heure et parmi ce que j'ai entendu après le 11 mars en France, c'est une des meilleures émissions.
Les documents sonores sont riches et parfois inattendus, notamment "Les bancs publics" de Brassens version japonaise.

mardi 10 janvier 2012

Tombée sur un panneau à Waseda... 早稲田で掲示板に出くわして

Premier matin de reprise en ce début d’année. Ciel clair et sec, petite bise sibérienne, c'est un hiver de saison à Tokyo cette année.
Une entrée de l'université Waseda... 早稲田大学の一つの入り口
Dans les allées de l’université Waseda où je travaille, sont accrochés aux arbres des panneaux annonçant des événements à venir en tous genres, symposiums, spectacles, conférences, manifestations anti-nucléaires ou autres, expositions, ... organisés par les facultés, les étudiants, divers clubs, organismes ou services de l’université. Dix facultés qui réunissent quelque 50 000 étudiants, cela crée du mouvement.
Les panneaux contre les arbres... 並んでいる掲示板
 Je tombe sur ce panneau :
Présentées par le Centre des Carrières de l'Université Waseda
Pour les étudiants étrangers
Conférences de présentations d'entreprises 2012

Suivent les dates des quatre réunions prévues les 6 et 14 fevrier, 15 mars et 12 avril prochains, de 13h à 16h.
Le public concerné : les étudiants étrangers qui seront diplômés en septembre 2012 ou mars 2013, suivant les cycles de l’université japonaise.

Peut-être pourrions-nous suggérer à Claude Guéant, notre zélé ministre de l'Interieur, auteur de la fameuse circulaire du 31 mai, d'y faire un tour. Cette "circulaire Guéant" limite, ou plutôt empêche, l'embauche des étudiants étrangers non européens, alors que celle-ci était déjà très encadrée par une loi datant du 24 juillet 2006.

Certes, la constitution des élites des pays émergents ou immergés est une question, mais on doute que ce soit le souci de M. Guéant, préoccupé simplement de ratissage électoral à droite toute. Cette circulaire, triste reflet de la politique actuelle, a été dénoncée comme "moralement inadmissible, politiquement dangereuse et économiquement absurde" par des présidents d'université ou de grandes écoles, des chercheurs ou des enseignants, qui ont de plus en plus de difficultés à inviter des professeurs étrangers ou recruter des étudiants non européens. Même Mme Parisot remarque que "le message envoyé à l'international n'est pas valorisant pour nos entreprises". En effet, à l'heure de la globalisation vantée à tous crins, ça fait mauvais effet.

Je peux donner un exemple que je connais, celui d'une étudiante japonaise inscrite depuis septembre en doctorat à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, bénéficiant d'un financement japonais, titulaire d'un diplôme de 3ème cycle de l'université de Tokyo, qui après des démarches pendant six mois, n'a toujours pas de permis de séjour. Sa solution : rentrer tous les trois mois au Japon et revenir avec un statut de touriste !
 




dimanche 1 janvier 2012

Meilleurs voeux pour 2012... 新年あけましておめでとうございます


Que mille fleurs puissent refleurir sur les dépouilles de notre illusoire monde productiviste !

Trouvaille faite en décembre à Tokyo, Edogawa-ku, Hirai où j'habite... 東京都江戸川区の平井に住んでいる町で12月にした掘り出し物

A la boutique foraine
trois sous de brouillard
c'est tout ce que j'ai vu
dans leur télescope
Kobayashi Issa (1763-1827) 

Le drame du monde moderne, c'est que l'indispensable n'est pas garanti et le superflu n'a pas de limite.  

Pierre Rabhi (né en 1938)