Lundi 23 janvier, mon fils, élève de seconde du lycée français de Tokyo a fait une sortie de classe organisée par le professeur principal, enseignant de mathématiques.
L'objectif : "Découvrir des métiers scientifiques et technologiques en relation avec l’énergie" par des visites d'usines. Deux sites sont au programme, Saint-Gobain et Mitsubishi, dans la région de Tokyo, sans plus d'information.
Quelques jours auparavant, je remplis l'autorisation de sortie en lui demandant quelles sont les productions de ces usines. Il me dit qu'il l'ignore mais que le prof a parlé d'une surprise. Saint Gobain, on peut un peu imaginer (il s'agira en fait d'une unité de production de matériaux isolants en fibre de verre) mais Mitsubishi, c'est un groupe énorme. J'imagine quelque chose en rapport avec les préoccupations actuelles, ce dont on parle au Japon, comme les méga-centrales solaires, ou bien la géothermie, ...
Le soir, à son retour, il m'annonce, très remonté : "Nous avons visité l'usine Mitsubishi de production de combustible nucléaire."
Quoi ! En plein accident nucléaire, la découverte des métiers scientifiques de l’énergie se limite à une usine de barres d'uranium ! J'en suis restée bouche bée.
Le programme de la journee |
Léo m'explique qu'avec ses camarades, ils ont pris un dosimètre, puis enfilé combinaisons, bottes, gants et masques de protection. Je lui demande si les élèves ont posé des questions, il me répond que non, ce sont les divers guides ou films, en français, en anglais, ou en japonais, qui ont parlé tout le temps. Aucun temps de questions, de débat, n’était prévu.
Et rien à propos de Fukushima, ou de l’après Fukushima. Fukushima ? Ça n'existe pas.
Ça n'existe tellement pas que la carte de localisation des combustibles nucléaires au Japon a carrément supprimé Tepco ! (rectification importante : cette carte représente les clients de Mitsubishi Nuclear Fuel, dont Tepco ne fait pas partie car utilisant une autre technologie).
Il semble évident qu'après l'accident de Fukushima, toujours en cours, la réflexion sur l'avenir de toute la filière nucléaire est forcement posée aux industriels concernés. Déjà, comment un tel accident est vécu, intégré dans la logique industrielle ? Faire comme si rien ne s'est passé, c'est tout simplement malhonnête. Et ainsi conduite, cette visite prend des airs de propagande.
Les documents ramenés présentent le cycle de l'uranium, depuis la mine, exploitée par de jolies poupées roses, jusqu'au mox, comme un cycle ininterrompu, parfait, continu. Les déchets ? Quels déchets ? Et bientôt, apprend-on, au Japon arrivera le J-mox nouveau, production locale. En voila une bonne nouvelle.
Le cycle du combustible nucléaire |
A la fin de la journée, les élèves ont reçu un questionnaire à remplir pour leur faire restituer le contenu de leur visite. Avec cette question : "Quels sont les trois E (en anglais) que doit prendre en compte dans ses choix la politique énergétique ?". La réponse se trouve dans les documents fournis par Mitsubishi : Economy, Environmental conservation, Energy security. Ce slogan résume les arguments classiques du choix du nucléaire, qui produirait de l’électricité bon marché, de façon indépendante et en relâchant peu de CO2.
Les 3 E... エネルギーの3Eのモットー |
Dans la situation actuelle du Japon, on peut goûter la pertinence des arguments. Le Japon se retrouve aujourd'hui avec 3 réacteurs (sur 54) en fonctionnement et doit suppléer à ces carences dans l'urgence. D'un point de vue économique, l’État est en train de nationaliser Tepco qui est incapable de faire face aux paiements des dédommagements. Quant à la conservation de l'environnement, c'est sans commentaire.
Répondre à cette question des trois E aujourd'hui au Japon, c'est soit du second degré et je n'ai pas le même sens de l'humour, ou soit c'est prendre nos enfants pour des buses.
Répondre à cette question des trois E aujourd'hui au Japon, c'est soit du second degré et je n'ai pas le même sens de l'humour, ou soit c'est prendre nos enfants pour des buses.
Une raison, pragmatique, de cette visite : un cadre français, dirigeant de cette unité de production dont 30% est détenu par Areva, est père d'une élève de la classe.
J'ai fait part de mon grand étonnement sur ce choix de visite, et surtout la manière de l'effectuer, à une association de parents d’élèves. J'attends la suite, s'il y en a une.