« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

dimanche 2 décembre 2012

Le combat des mères de Fukushima... 福島県のお母さんたちの戦闘

Voici un reportage d'une vingtaine de minutes qui vient d'être mis en ligne sur le site Aujourd'hui le Japon.

Le combat des mères de Fukushima | Japon Information

Inutile de faire des commentaires, juste quelques précisions :
Les hommes japonais ne sont pas tous d'horribles machos, mais il est vrai qu'ils sont souvent un peu dépassés par les capacités d'engagement de leur épouse, voir parfois en désaccord.
Et cet engagement des femmes, obstiné et persévérant comme la vie, dans ce qu'on appelle les "mouvements d'habitants" ou "mouvements de citoyens", jûmin-undô 住民運動, shimin-undô 市民運動, pour défendre des causes environnementales, contre la pollution industrielle, contre le nucléaire, etc, n'est pas nouveau. 
(Je l'ai évoqué dans de précédents billets ici et ).
Nombreux sont les articles ou reportages qui ont montré, et continuent à présenter les différentes formes d'activisme féminin qui se sont développées à la suite de la catastrophe de Fukushima.

De plus, à travers ce reportage, apparaissent en filigrane les mouvements de population qui se font dans le territoire japonais : les habitants qui le peuvent continuent de quitter la région de Fukushima pour venir en général dans la région de Tokyo, assez proche et offrant davantage de possibilités de logement et de travail.
Et des habitants du Kantô, région de Tokyo, eux, se sont déplacés vers le sud-ouest, dans le Kansai, région de Osaka, voir plus loin, jusqu'à Okinawa.
Globalement, depuis un an et demi, le Kantô a perdu des habitants alors que le Kansai, qui amorçait un déclin démographique, en a gagné.

Fukushima n'a pas fini de remuer en profondeur la société et le territoire du Japon. Et la question du nucléaire est au premier plan des élections législatives (auxquelles s'ajoute celle du gouverneur de la préfecture de Tokyo) qui vont se dérouler le 16 décembre, à la suite de la dissolution du parlement annoncée en novembre par le chef du gouvernement, Noda Yoshihiko. 
L'automne dans la forêt du sanctuaire Meiji... 明治神宮の杜における秋

dimanche 25 novembre 2012

Paysages du lac de l'Ouest à Hangzhou... 杭州にある西湖の風景

Hangzhou, simple ville de rang "sous-provinciale" à 190km au sud-ouest de Shanghai, 6 millions d'habitants.
Hérissée de grues, traversée de boulevards extra-larges, agitée de milliers de chantiers, sillonnée d'encore plus d'autos et de mobylettes électriques, Hangzhou est une ville chinoise bien de son temps.
Le front de ville en arrière plan du lac de l'Ouest... 西湖の奥杭州のスカイライン

Cité issue d'un riche territoire producteur de riz, de soie et de thé, elle connut plusieurs heures de gloire, et fut même la capitale au XIIIe siècle de la cour des Song du sud, si bien qu'un poète déclara qu' "Au ciel se trouve le paradis, et sur terre, Hangzhou et Suzhou (ville voisine)". Marco Polo, sorte de "touriste italien" d'après un de nos hôte chinois, la désigna "plus belle ville du monde" en la découvrant.
A Hangzhou, encore aujourd'hui, Marco Polo et son commentaire élogieux sont servis aux visiteurs européens. Sans oublier de préciser que Marco Polo ramena de Chine dans son pays natal beaucoup de choses : trinquer en faisant tchin-tchin, les spaghettis, les raviolis, les ponts arqués comme ceux de Venise, la brouette, etc. Bref, sans la Chine, l'Italie et donc l'Europe ne seraient pas ce qu'elles sont.
Marco Polo n'avait pas apporté avec lui la cafetière espresso, mais maintenant la chaine de café Starbuck's fondée à Seattle sur la côte ouest des Etats-Unis sur le modèle d'un bar milanais, est en train de corriger cela à la vitesse du TGV (ou du shinkansen).

Sa beauté spécifique, Hangzhou la doit essentiellement à son lac de l'Ouest, d'environ 15km de pourtour, bordé par la ville sur un côté et entouré de collines et de monts sur les trois autres.
Ce lac, œuvre de la nature et des humains, était à l'origine une lagune en bordure du fleuve Qiantiang qui a été endiguée, creusée et redessinée à partir du VIIIe siècle jusqu'à... aujourd'hui. Le lac avec ses environs boisés jouait le rôle d'un énorme réservoir d'irrigation pour les cultures, en même temps qu'il devint source d'inspiration pour les peintres et les poètes. Et aujourd'hui, site classé au Patrimoine mondial depuis 2011, ce qui représente le sacre de la reconnaissance internationale et le Graal du tourisme mondial, il attire des millions de visiteurs, très majoritairement chinois. L'excès de sa fréquentation met en péril son calme et menace ses équilibres. 
Monument commémorant le classement au Patrimoine mondial de l'humanité et karaoke, côté front de ville très vivant et animé par les activités des habitants
Au cours de son histoire, le paysage minutieusement travaillé, rythmé, a été amplifié par des créations : îles-jardins formées de bassins-miroirs ; chaussées bordées de saules et de pêchers, ponctuées de ponts en demi-lune, qui permettent de traverser le lac entre deux eaux et le ciel ; promenades boisées au long des rives ; pavillons et pagodes avec leurs fameuses toitures aux angles retroussés, disposés sur les hauteurs pour marquer les lointains quand on est au bord du lac, et offrir des vues panoramiques depuis leurs  terrasses. 
C'est bien beau tout ça, mais est-ce que j'ai pas reçu des mails ?
Dix lieux arrangés sur le pourtour du lac, nommés par des expressions poétiques de quatre sinogrammes inspirées de peintures, constituent comme un enchaînement de dix scènes 西湖十景 offrant des vues idéales, où le ciel, l'eau, et les humains, bref le monde, s'accordent de la manière la plus parfaite. Leur traduction en français produit un lyrisme appuyé, alors que dans la langue originale, seulement quatre caractères juxtaposés, d'une grande économie de moyen, créent toute une constellation de sensations autour d'une image. Par exemple, 柳浪聞鶯, écouter le chant des loriots dans les saules ondoyants. Ou bien 花港觀魚, contempler les poissons dans le bassin des fleurs (il s'agit de carpes dans un bassin entouré de pêchers).
L'île-jardin dite des "Trois étangs reflétant la lune"... 三潭印月と言う島にある庭園

Il semble que ce processus qui consiste à nommer un lieu par un nom poétique inspiré d'une peinture de cet endroit (ou bien d'un poème par la suite), nom qui en retour joue dans le dessin du paysage pour le conformer à l'image poétique, soit apparu autour du lac de l'Ouest.

La langue japonaise a tiré de l'écriture chinoise cette puissance de condensation plus expressive que descriptive. L'organisation de l'espace, et de la pensée, car la langue nous permet d'énoncer nos idées et de penser, retire de cette spécificité linguistique une préférence pour l'enchaînement, l'agrégation, la superposition, la fluidité, sans chercher à tout prix le sens d'une composition d'ensemble, ou la hiérarchie des parties et du tout.

La renommée du lac de l'Ouest sis à Hangzhou va se diffuser dans toute la Chine où les lacs de l'Ouest se multiplient, dans la nature ou dans les jardins, comme par exemple au Palais d'été près de Pékin avec le lac Kunming. Puis elle va traverser la mer et arriver jusqu'au Japon où ce paysage irrigue, de manière très condensée et miniaturisée, encore d'autres jardins, comme des jeux de reflets sans fin.  
Une des chaussées traversant le lac...
Bai Juyi (772-846), lettré et haut fonctionnaire envoyé par l'empereur pour gouverner la région en proie à la corruption (déjà) qui pervertissait la gestion des digues privant d'eau les paysans, écrivit:

Il est possible d'avoir la manie d'aimer la nature,
Mais, il est incroyable d'en souffrir comme du mal d'amour !
Puisque j'avoue être atteint d'une telle maladie,
Vous pouvez imaginer la splendeur que le Lac de l'Ouest offre !

A son départ, après avoir traversé une dernière fois le lac avant de prendre la route, il laissa au batelier ce message :

Depuis que j'ai quitté les montagnes et les eaux du fleuve Qiantang,
Je n'ai plus le goût ni à boire ni à rimer.
Que cette barque, au retour, transmette mes sentiments
Au vent et à la lune du Lac de l'Ouest.

Le temple Lingyin, monastère zen... 灵隐寺、有名な禅寺

dimanche 11 novembre 2012

Lettre à Anne Lauvergeon... アンヌ・ロヴェルジョンへの手紙

Chère Madame,

Hier, dimanche 11 novembre, j'ai lu dans le journal Le Monde que vous faisiez partie des "six personnalités choisies pour incarner le débat sur la transition énergétique". La ministre de l'Ecologie vous qualifie de "grand serviteur de l'Etat", et je ne doute pas de votre capacité à faire partager votre longue expérience industrielle, particulièrement celle acquise dans le domaine de l'énergie à la tête d'Areva, entreprise que vous avez fait naître en 2001, de la fusion principalement de CEA Industrie, Gogema et Framatome. 

Je ne doute pas non plus des synergies qui naîtront de votre collaboration avec les autres membres de ce comité de pilotage, et surtout avec Pascal Colombani, ex-patron du CEA de 1999 à décembre 2002 (période de la fusion Areva), ensuite président du conseil de surveillance d'Areva. Il est comme vous-même agrégé en sciences physiques, et son bébé à lui, c'est Iter. J'imagine que vous devez bien le connaître et avoir beaucoup de longueurs d'ondes communes avec lui.
"Histoire de radiations". "Pour vivre en sécurité, tenez bien vos promesses à Kibitan !"
   
Hier aussi, par hasard, je suis tombée sur un article qui présentait des brochures réalisées par la préfecture de Fukushima pour enseigner aux enfants comment se protéger de la radioactivité dans leur vie quotidienne.
Ces brochures ont été réalisées lors de l'été 2011 en réponse aux plaintes des parents et des enseignants, inquiets du manque d'attention portée à la santé des enfants. Elles sont diffusées dans les jardins d'enfants, les écoles, les lieux publics.
"C'est la bonne saison pour attraper des insectes, s'amuser dans l'eau, mais quand on joue dehors, faisons attention à "Radioactivité". Attention à ces endroits : pelouses et touffes d'herbe, caniveaux, pieds d'arbres, flaques, gouttières."
"Quand on sort à l'extérieur, quand on joue dehors, comment faire ? 1. Avant de sortir, on écoute bien les grands ou les maîtres. Et on s'amuse. 2. Avant de rentrer, on enlève bien la poussière. 3. Quand on rentre, on se lave bien les mains et on se gargarise. Goal : On s'est bien amusés et on a tout bien fait."

Quelle coïncidence, ces deux informations qui se télescopent ! mais ce n'est peut-être pas une véritable coïncidence, comme le pensait le psychanalyste Jung qui parlait de synchronicité et ne croyait pas au hasard.

Je pense que connaître ces brochures vous intéressera sûrement. La première de la série, (les 3 images ci-dessus), est conçue pour les enfants de 4 à 5 ans qui déchiffrent les hiraganas, alphabet syllabique utilisé en japonais, et elle a recours pour faire passer le message à une mascotte, une sorte d'oisillon jaune nommé Kibitan. La marionnette de Kibitan circule aussi en ville pour faire passer ses messages.

La fiche Wikipedia en japonais qui vous est consacrée ne manque pas de citer à plusieurs reprises votre surnom, Atomic Anne, アトミック・アンヌ, qui a beaucoup de succès ici. Parce que, sans doute, ce nom rappelle un personnage de manga ultra célèbre au Japon, Tetsuwan Atomu, 鉄腕アトム, qu'on peut traduire par Atome Brasdefer, connu mondialement sous le nom d'Astro Boy, créé par Tezuka Osamu en 1952. Par la suite, l'auteur créa une petite sœur à Atomu, une chipie baptisée Uran, abréviation d'uranium. 
Dessin original de Atomu, 1951

En cas d'accident en France, nous avons déjà une mascotte toute trouvée, et avec Atomu, Atomic Anne fera un couple d'enfer pour expliquer aux petits enfants les lieux à éviter quand on joue dehors, ce qu'il faut faire quand on rentre à la maison, et donner le numéro de téléphone spécial "radioactivité" mis en place par la préfecture (de Fukushima) pour appeler en cas d'inquiétude. C'est déjà ça.
La brochure pour les élèves de l'école primaire. "Agissons en connaissant correctement la radioactivité". Elle reprend les mêmes éléments avec des explications.

En tout cas, ici au Japon, en ce qui concerne la transition énergétique, on a une bonne longueur d'avance. Par la force des choses, une seule centrale fonctionne, après un arrêt total de tout le parc nucléaire, et comme on vient de découvrir que cette centrale est traversée par une faille activée à cause du violent séisme du 11 mars 2011, les experts penchés sur la situation sont bien perplexes (imaginez une rangée d'experts, penchés sur la faille, la tête en bas, les fesses en l'air, c'est tordant).
La brochure pour les adultes :"Dans le cas où les enfants sortent en plein air, quand ils jouent dehors, à quoi faut-il faire attention ?"
Je ne sais pas si vous avez des enfants, d'ailleurs comme je suis féministe je n'avancerai pas l'argument de la sensibilité maternelle, mais j'ai un fils et je peux imaginer l'anxiété de ceux qui ne peuvent quitter Fukushima, et quand je vois ces brochures, eh bien cela me donne envie de pleurer. 

Voulons-nous vivre dans un monde où des mascottes expliquent aux petits enfants, puis avec de plus en plus de précisions, d'explications et de vocabulaire, aux enfants du primaire, aux collégiens, et enfin aux adultes les dangers de la radioactivité quand on joue dehors ?

Bien transitionnellement,
Sylvie Brosseau


Le site pour voir l'intégralité des brochures :
http://techpr.cocolog-nifty.com/nakamura/2011/07/post-73f8.html
Pour les japonisants, les commentaires très critiques sur ces brochures sont à lire.


samedi 20 octobre 2012

Ainsi finissent les vélos à Tokyo... 東京で自転車はこう終わります

Ainsi finit, dans les belles de nuit et les plantes grasses, le vélo d'une voisine, maintenant trop âgée pour l'utiliser.

Ce n'est pas rare de faire de telle rencontre dans Tokyo, vélo pris dans les volubilis ou les herbes folles, laissé dans un coin par quelque "emprunteur" peu scrupuleux ou bien abandonné par son propriétaire.

Dans la ville où tout change si vite, tout bouge sans cesse, dès que l'on s'écarte de la ligne de flux principale, des délaissés de toutes sortes encapsulent le temps qui passe, la nature qui suit son cours.

La ville nous donne à sentir des rythmes différents, des mondes parallèles qui coexistent. Et aussi l'impermanence des choses humaines

vendredi 12 octobre 2012

L'automne, saison des moissons au Japon... 秋、稲刈りの季節

福島県大熊町に於ける警戒区域の稲刈り
Photo choc ce matin, vendredi 12 octobre 2012, en haut du site du journal Asahi.

Des membres du gouvernement local de Okuma, commune de la préfecture de Fukushima aujourd'hui dans la zone interdite, récoltent le riz dans quelques champs plantés afin d'en mesurer la contamination.
La centrale nucléaire Fukushima Daiichi se trouve à cheval sur les deux communes de Okuma et Futaba, aires rurales en bord du Pacifique.

Quel message veut transmettre l'homme qui brandit sa botte d'épis de riz ?
Qu'il croit malgré tout à la vie qui continue ?
Qu'il garde l'espoir de reprendre la culture en cet endroit un jour prochain ? 
Qu'il veut montrer au monde ce à quoi est réduit son pays natal ?

Qu'en penser ?

La moisson est toujours bien plus que la récolte d'une plante, c'est un moment qui symbolise la fertilité et contient toute l'histoire de l'humanité.
C'est pourquoi cette image est bouleversante car elle nous montre notre monde mis à mal.

Trouvée sur le net, cette petite vidéo faite au moment du repiquage dans cette même commune de Okuma, en mai :

Voici un commentaire posté à ces images :

シュールだな~。
☢ ゜ ・ ☢ 。 ☢ 。 ・ 。 ゜ ・ 。 ゜ 。・ ☢ ゜・ 。 ゜ 。 ☢ ゜ ・ 。 ・ ☢ ・ ゜ 。 ☢ ・ 。 ・ 。 ☢ ゜ ・ ☢ 。 ゜ 。 ・ ☢ ・ 。 ☢ ゜ ・ 。
なんだけどなぁ。。。

lundi 1 octobre 2012

Des idées de cadeaux pour Noël... クリスマスプレゼントのアイディア

Pour ceux qui chercheraient déjà des idées de cadeaux - très originaux - pour Noël, voici ce que propose en vente en ligne la société japonaise Neurowear :
Des oreilles de chat, ça s'appelle nekomimi (qui veut dire oreilles de chat) à se poser en serre-tête et qui bougent suivant notre concentration transmise par un petit capteur sur le crâne.

Neurowear a mis au point sur le même principe une queue, ça s'appelle shippo, (qui veut dire queue ; de chat, là j'avoue un gros fantasme...), elle n'est pas encore mise en vente mais on peut juger de l'effet sur cette vidéo :
Le site du journal Libération daté du 24 septembre propose un article que je vous laisse découvrir.

Ces accessoires kitschissimes nous révèleraient-ils que le fantasme de la femme-chatte serait universel, au moins bien partagé, avec la variante kawaii (mignonne) au Japon ? 
On pense à Catwoman apparue dans le comic américain Batman en 1940, qui de justicière féministe défendant des prostituées dérive vers l'érotisme fétichiste avec masque et cuir moulant noirs dans les films récents.  Neurowear nous propose plutôt une lolita-chatte, tout un programme.


Avant l'apparition des accessoires Neurowear, une nekomimi est un personnage, en général féminin, de manga, de dessin animé ou de jeu vidéo avec des oreilles, une queue de chat, et aussi une gestuelle particulière pour évoquer de la main les mouvements de la patte du chat. Et qui s'exprime avec force nya ou myû, onomatopées félines en japonais. Les attributs de chat n'apparaissent qu'épisodiquement, révélant le caractère surnaturel du personnage. Ceux-ci apparaissent dans les années 70 avec leur graphisme reconnaissable, et assez vite (tout de suite ?) des versions porn apparaissent.
Nekomimi entre la lolita-maid et la collégienne... 猫耳 (^.^)

En dehors du Japon, dans les années 70, plus soft, la comédie musicale américaine Cats connaît un énorme succès, et elle est toujours jouée à Tokyo ; on pense aussi à des films de Disney comme "Les Aristochats" dans la même veine. Et en France à l'énorme succès de la pièce "Peine de cœur d'une chatte anglaise" d'après une nouvelle... d'Honoré de Balzac qui se moquait des mœurs victoriennes. La chatte anglaise s'y fait dévergonder par un chat de gouttière, français évidemment.

Plus récemment, au Japon, la mode nekomimi a été réactivée par un groupe de chanteuses coréennes, lancées et même fabriquées par la vague de la K-pop. La K-pop, comme la balbutiante C-pop venue de Chine, sont des copier-coller de la J-pop, des clones carrément produits par des agences d'Etat qui repèrent, entraînent durement pendant plusieurs années des adolescents et des adolescentes pour former des groupes censés montrer une image positive et dynamique de leur pays, et ainsi valoriser l'ensemble de la production industrielle. C'est une application littérale et très utilitariste du concept américain de soft power (comment se construire une bonne image et élargir sa sphère d'influence dans le monde) mais ça marche !
Ce groupe coréen T-ara (prononcé ti-ala) de sept filles est très célèbre au Japon, et elles sont toujours habillées en nekomimi du type kawaii (mignon) sur les plateaux de télévision, avec les mains repliées devant la poitrine, mais leur clip se veut plus hot, leur apparence étant un mélange de lolita, nekomimi et cuir. Ce n'est pas tout à fait la même veine que les Pussy Riot russes.
Bo peep bo peep, on sent la chanson à texte, en voici la version japonaise :

En devanture ou à l'entrée de nombreux magasins au Japon, surtout les restaurants ou bars, se trouve un chat en faïence avec une patte levée, appelé maneki-neko, le chat qui invite (les clients à entrer, la bonne fortune). Il s'agit d'un chat porte-bonheur très populaire dans les boutiques (même à Paris dans certains magasins tenus par des Vietnamiens).
Plusieurs légendes racontent l'histoire du chat devenu porte-bonheur. Celle que j'ai entendue rapporte qu'un seigneur ou samurai important (le nom du personnage change suivant la ville ou le quartier où l'on se trouve) aurait vu un chat qui semblait l'appeler de la patte. Le guerrier, intrigué, suit le chat et ainsi évite la foudre qui s'abat ou bien un piège, et décide d'ériger un temple à l'endroit où le chat apparu lui a sauvé la vie.

Il semble que ces maneki-neko apparaissent dans les commerces assez récemment, à la toute fin de l'époque Edo ou même à l'époque Meiji (à partir de 1868). En fait, il remplacerait une statue phallique qui se trouvait à la porte des maisons de rendez-vous, ou bien à l'entrée des commerces tenues par d'anciennes prostituées ayant réussi à racheter leur liberté et ouvrant une gargote. Avec l'arrivée des Occidentaux alors en pleine période victorienne, le gouvernement japonais dut faire le ménage vite fait pour retirer et interdire toutes les sculptures phalliques (ou vulvaires) en pierre ou en bois qui se trouvaient à tous les coins de rue (au sens propre du terme).
Et quand on regarde certains maneki-neko, symboles de prospérité, de dos, on n'y voit pas forcément un chat...

D'autres chats connaissent un énorme succès au Japon.
Par exemple le personnage de Doraemon, chat-robot bleu sans oreilles (car une souris les lui a mangées quand il était petit d'où sa peur des rongeurs) qui vient du futur et aide un garçon pas très doué dans la vie (pour s'en sortir à l'école, à la maison, etc). D'abord manga, puis dessin animé, Doraemon accompagne l'enfance des jeunes Japonais depuis 1969, et même au-delà du Japon. Je me souviens d'un Doraemon parlant portugais aperçu à la télévision.
Doraemon et les personnages principaux de l'histoire... ドラえもん

L'acteur Jean Reno, populaire au Japon, a tourné une série de films publicitaires pour Toyota, déguisé en Doraemon. On retrouve les mêmes personnages jeunes adultes, à l'âge de 30 ans. Et le garçon Nobita, toujours aussi empoté, a besoin de Doraemon pour l'aider à avoir ses chances auprès de Shizuka, sa copine d'enfance dont il est éternellement amoureux. 
Ce qui est intéressant c'est que cette série n'est pas pour promouvoir les modèles de Toyota mais... le permis de conduire. Ce qui sous-entend que les jeunes adultes japonais ne se bousculent pas pour passer le permis. Si les constructeurs veulent continuer à vendre des voitures, il faut déjà que les clients potentiels aient le permis de conduire.
A ne pas rater, Jean Reno en Doraemon :

Mais le chat japonais le plus célèbre dans le monde entier est une chatte présente sur un catalogue de 22 000 références. C'est bien sûr :
Hello Kitty !
En 1974, une jeune employée tout juste diplômée d'une école de graphisme, à la demande de son employeur, la papeterie Sanryo, dessine un personnage, un petit chat mignon sans bouche. Et c'est un succès qui dure toujours, avec de nombreux partenariats de marketing. Par exemple, quand je vais à la banque, je ressors avec des mouchoirs en papier à l'effigie de Hello Kitty ! On peut même avoir la carte de crédit Hello Kitty !
Hello Kitty va même à l'université Waseda !

Au Japon, la figure du chat est donc très riche, et le mignon glisse facilement vers l'érotisme. 
Sextoy Hello Kitty Vibrator, à l'origine fait pour se masser les épaules (mon œil), existe en rose ou rouge et blanc... アダルトグッズ (大人のおもちゃ)
 



 

mercredi 19 septembre 2012

Les nuages d'été à Tokyo... 東京の夏雲

En été au Japon, se forment de gigantesques cumulonimbus qui créent un ciel très spécifique, un paysage changeant fait de masses impressionnantes qui flottent au dessus de la ville. Ce sont les nuages d'été, natsugumo, qui donnent parfois des orages en fin de journée.
Depuis le début septembre, la température reste au-dessus de 30 degrés, et les nuages se font et se défont dans un ciel céruléen.
Tous les nuages ne sont pas radioactifs, espérons-le...

L'étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis?
-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Baudelaire, Petits poèmes en prose, I (1869)

 

巴里の憂鬱 ボードレール 三好達治訳  異人さん ――お前は誰が一...

巴里の憂鬱
ボードレール 三好達治訳 (新潮文庫)

異人さん

――お前は誰が一番好きか? 云ってみ給え、謎なる男よ、お前の父か、お前の母か、妹か、弟か?
――私には父も母も妹も弟もいない。
――友人たちか?
――今君の口にしたその言葉は、私には今日の日まで意味の解らない代ものだよ。
――お前の祖国か?
――どういう緯度の下にそれが位置しているかをさえ、私は知っていない。
――美人か?
――そいつが不死の女神なら、欣んで愛しもしようが。
――金か?
――私はそれが大嫌い、諸君が神様を嫌うようにさ。
――えへっ! じゃ、お前は何が好きなんだ、唐変木の異人さん?
――私は雲が好きなんだ、……あそこを、……ああして飛んでゆく雲、……あの素敵滅法界な雲が好きなんだよ!

Le motif du nuage est récurrent dans la poésie japonaise, formant un ensemble de symboles introduits par la tradition chinoise et associés au thème du voyage.  Celui-ci est bien davantage qu'un déplacement dans l'espace, il est expérience de la précarité, du désarroi, une métaphore de la destinée humaine.
Le nuage évoque ce qui est éloigné, voire inaccessible : les cieux et les cimes, les contrées lointaines, mais aussi le palais Impérial, le séjour des Immortels ou du Bouddha, l'élévation spirituelle. 
Le nuage est symbole d'impermanence, de fragilité. L'eau s'écoule et les nuées s'évaporent, images de la fuite perpétuelle du temps et de l'impermanence de toute chose.
Le nuage, flottant, défait par le vent, est aussi image de l'errance, du désarroi. Le voyageur en pérégrination est "compagnon des nuages".
Les nuées qui couvrent la lune, clarté dans la nuit qui symbolise l'enseignement spirituel du Bouddha, figurent l'ignorance.

De montagnes ignorées
En montagnes ignorées
Me voici venu,
Des nuages sans sillage
le sillage poursuivant 

Fujiwara no Yoshitsune (1169-1206)

Ciel de voyage : 
Ces nuages qui s'élèvent et flottent
Serait-ce donc moi ?
Qui n'ai route ni étape
Alors que soufflent les bourrasques

Munenaga-shinnô (1311-1385)

(Traduction de Jacqueline Pigeot, Michiyukibun. Poétique de l'itinéraire dans la littérature du Japon ancien)
 
Le motif du nuage fond ainsi de multiples sens : éloignement, précarité, flottement, égarement, que l'on retrouve dans le thème du voyage. Et aussi dans le poème de Baudelaire !


Et conclusion provisoire, une trouvaille internet, haiku inédits écrits par un certain capitaine Murakami lors de sa mobilisation en Chine pendant la guerre, traduits en français par sa fille qui vit en France, Etsuko Hourcade.

Marchons, courons,
Saisissons
La crête du nuage d’été


Bref repos,
Couchés, on contemple
Les nuages de l’été


lundi 27 août 2012

Traces du Japon sur le Tour de France... ツール・ド・フランスにある日本の跡

Dans la montée du col de la Madeleine, grande étape alpestre du Tour de France, la route garde le souvenir du passage de Arashiro Yukiya 新城幸也, traces laissées par quelques supporteurs.
Né en 1984 à Ishigaki, petite île de Okinawa à l'extrême sud du Japon, il est le premier coureur japonais à avoir terminé le Tour de France en 2009 et il a fini l'édition 2012 à la 89e place.
Puis en août, il a enchaîné en gagnant le Tour du Limousin !


"Contrairement à ce qui se passe lorsque je suis en voiture , où le paysage se donne à voir et pas à être, à vélo je suis assis dedans." 
 Paul Fournel, écrivain français (1947-),,Besoin de vélo (2001).

mardi 14 août 2012

Le tri des ordures à Tokyo, cauchemar des étrangers ? ... 東京でごみの分け方は外人の悪夢ですか?

Vendredi 8 août, je tombe un peu avant 7h du matin sur une chronique de France-Inter, L'actu loin de chez vous, consacrée ce matin-là au tri des déchets au Japon. Avec en direct de Tokyo, le directeur du bureau de l'AFP, Jacques Lhuillerie qui commente une note qu'il vient de  publier à ce sujet dans un blog de l'AFP, Making-of, les coulisses de l'information. Son billet est intitulé Moi et mes ordures: le cauchemar du "gaïjin".
Intriguée et intéressée, je tends l'oreille. Donc le tri des ordures à Tokyo serait "un casse-tête chinois", "un art exigeant et impitoyable, une "cérémonie" qui revient comme un mauvais rêve et peut carrément tourner au cauchemar pour le "gaijin" (l'étranger)".
Pourquoi cette situation cauchemardesque ? parce qu'au Japon on trie pour effectivement recycler alors que :
"le "tri sélectif" des ordures ménagères en Europe ? Une rigolade, Une promenade de santé, expédiée en deux temps trois mouvements: on jette un peu n’importe comment, et ils ramassent!"
Avignon, le 3 août 2012, ILS ramassent, les cartons avec les ordures ménagères... アヴィニョンのごみ収集、ダンボールと燃えるごみを全部まとめること
Sans doute un aveu du comportement de l'auteur mais ni tous les Européens, ni même tous les Français n'agissent ainsi. En tout cas, le chemin va encore être long pour arriver à un résultat probant en France en matière de recyclage. Bon courage ! Je comprends pourquoi la ville de Paris est obligée de faire des campagnes, non pas pour un tri intelligent mais pour demander aux habitants de ne pas balancer leur frigo dans la rue !


Campagne de la ville de Paris "Paris est notre environnement, protégeons-le !"... パリ市のキャンペーン「パリは私達の環境ですので守りましょう」
Pour le journaliste de l'AFP, ce qui ajoute un effet infernal à la complexité du tri au Japon, c'est que les éboueurs sont d'impitoyables contrôleurs, assistés dans cette tâche par les voisins qui n'ont rien de mieux à faire que de vérifier le contenu des sacs poubelles.
"Alors la première fois que j'ai déposé un sac devant chez moi avant de partir prendre le métro pour aller au bureau, non sans avoir vérifié que c'était bien LE jour pour CES déchets, j'étais aussi anxieux qu'en rendant ma copie après une interrogation de maths (...) Et le soir, durant tout le trajet du retour de Ginza (le quartier du bureau) jusqu'à Roppongi (mon quartier), une question obsédante me taraudait, le bout des doigts coincé entre les dents: ont-ils pris mon sac ? Ai-je raté mon examen de passage, mon rite initiatique obligatoire? Aurai-je un mot infâmant dans ma boîte ? 20 minutes à pied (...) Et là: plus de sac. Yessss! Jamais je n'aurais cru qu'une jour dans ma vie la  disparition d'un sac poubelle m'aurait procuré une telle joie, une si profonde satisfaction, idiotes de surcroît."
Pourquoi est-ce idiot d'être satisfait de respecter les règles du pays où l'on vit ? de participer à un effort collectif en matière de tri afin de récupérer des matières premières ? Car c'est ainsi que sont nommés les déchets recyclables.

On a compris, le billet use d'un ton volontairement très excessif et ironique pour faire rire, mais il véhicule en même temps pas mal d'idées et de stéréotypes lourdingues, même déplaisants : la société japonaise vit dans l'auto-contrôle, voire l'auto-flicage, (les "éboueurs-contrôleurs", le voisinage prêt à dénoncer), le Japon est surpeuplé d'où ces règles tatillonnes et débiles pour gérer au mieux les déchets et le reste.

Dans la pratique, c'est très simple. Le ramassage des déchets recyclables se fait une fois par semaine et concerne principalement le papier et le carton, le verre, le métal (canettes et boîtes) et les emballages en plastique propres (bouteilles, barquettes par exemple). Le reste est collecté deux fois par semaines. Et depuis quelques années, les incinérateurs de Tokyo sont capables d'ingurgiter tous les plastiques et toutes les matières sans produire de dioxine donc si on ne veut pas faire d'effort... on peut même tout jeter ensemble ! 

Juste une recommandation à M. Lhuillerie : laisser tomber l'aspirine, prendre une bière bien fraîche et lire Le Japon, idées reçues de Philippe Pelletier, Le cavalier bleu éditions, 2008 et réédité en 2012.


Le tri des déchets lors de hanami, fête des cerisiers, pour s'entraîner d'ici au printemps prochain... 来年の春までに花見のごみの分け方を練習しましょう



vendredi 3 août 2012

Avignon recrute un Directeur de la culture... アヴィニョンを通って行って

En ce début du mois d'août, de passage à Avignon, je feuillette un hebdomadaire culturel et je tombe par hasard sur cette annonce publique :

La Ville d'Avignon recrute pour son Département des Affaires Culturelles
Un Directeur de la culture (h/f)
Porte de la Maison Jean Vilar avec l'affiche commémorant le centenaire de sa naissance en 1912

La coïncidence pique ma curiosité et me fait entreprendre la lecture de l'annonce qui débute ainsi :
La ville d'Avignon est une ville d'exception en matière culturelle en raison de la richesse de son patrimoine historique et culturel mais aussi en raison de la présence sur Avignon de diverses entités de qualité, dédiées à la promotion, la diffusion et le développement des arts et du spectacle vivant. (sic)

Après cette élégante phrase introductive, la suite de l'annonce énumère en sept points la liste des tâches dévolues au futur directeur. On y parle de mission, d'élaboration (2 fois), de direction (2 fois), d'action culturelle (2 fois), d'organisation, d'évaluation, d'impulsion, de coordination, d'animation, de participation, de définition, de supervision, de gestion, de promotion ; sans oublier le renouvellement et le développement, le pilotage (3 fois) et les partenariats, la politique et la stratégie.

La une de Vaucluse-Matin du 3 août : Retour aux sources à la Fontaine de Vaucluse (connaissance de l'environnement territorial)

Puis, en une seule et même phrase (12 lignes dans l'annonce), la conclusion décrit le profil attendu :
De formation supérieure en politique culturelle ou/et expérience indispensable d'une direction des Affaires culturelles d'une commune de strate équivalente ou d'une direction d'établissements culturels d'envergure équivalente, vous avez une expérience significative en pilotage de la conduite de politique culturelle et de projets à un niveau stratégique, une expérience en management d'équipes pluridisciplinaires, une connaissance de l'environnement territorial et parfaite maîtrise des cadres réglementaires administratifs et RH, financiers et de la commande publique, une parfaite connaissance des institutions culturelles, et êtes doté d'une grande disponibilité. (resic)
Que penser de l'inanité d'une telle annonce ? Que dire de cette caricature de jargon administratif et de novlangue managériale ? Que déduire de l'indigence du contenu et de l'incorrection de la forme ?

Vitrine de la librairie "La mémoire du monde" : Artistes Sociétés Territoires ; Culture ou mise en condition ? Les Défiguratifs ou le Monstre dans l'Art. Bien vu, à envoyer à la mairie.
Soit les services administratifs avignonnais sont d'une grande médiocrité et auraient intérêt à profiter de ce recrutement pour aussi enrôler un rédacteur (h/f) qualifié. Soit la ville se contrefiche de cette annonce - pure obligation - car elle a déjà son candidat pressenti. L'un n'empêchant pas l'autre.

Mais enfin, lorsqu'on se présente soi-même comme "une ville d'exception en matière culturelle", ça la fiche un peu mal.

Plan du centre historique d'Avignon représenté comme une île détachée du reste de la ville (les trois-quart de la commune) qui n'existe pas, même pas amorcé.  
"En désespoir de cause nous nous étions dirigés à l'intérieur de la ville, et plus nous progressions à l'intérieur de cette ville, plus les quartiers étaient délabrés et pauvres. La société française et le territoire français ne sont qu'une vitrine, pensai-je."
Christophe Pellet, La Conférence (2008)


mercredi 25 juillet 2012

Manifestations antinucléaires à Tokyo, sons et images... 東京の原発反対デモ、音と画

Depuis avril 2011, les manifestations antinucléaires se succèdent à Tokyo. Dès la première, cela a surpris de la part de ce peuple soi-disant résigné, obéissant, respectueux de l'autorité, mais elles ne cessent de prendre de l'ampleur et se propagent dans le pays depuis l'annonce du redémarrage de la centrale nucléaire de Ôi à Fukui-ken. 
Les analyses et commentaires du phénomène fusent. Le dernier en date : le Japon serait en train de devenir normal. J'espère bien que non.
Le 16 juillet au parc Yoyogi

Après des semaines, des mois, certaines manifestations deviennent rituelles : celle du vendredi soir, près la Résidence officielle du Premier ministre jusqu'au Parlement (voir un billet précédent sur La Révolution des hortensias). Un ancien premier ministre en 2009/2010, Hatoyama Yukio, y a même pris la parole le 20 juillet pour dénoncer la politique de son successeur, issu du même parti ; et une autre a lieu le samedi ou le dimanche à Funabashi, dans la banlieue proche de Tokyo où réside et est élu député le premier ministre Noda Yoshikiko. Depuis peu, le dimanche, un rassemblement est apparu à Ômiya, dans la banlieue nord, ville de Edano Yukio, actuel ministre de l'Economie et de l'Industrie, ancien porte-parole du gouvernement pendant la crise de l'après 11 mars.
Speech de maires membres de l'association des élus locaux contre le nucléaire
Ceux qui ne peuvent faire les déplacements peuvent suivre les événements en direct sur internet grâce au travail d'un journaliste qui a créé Independant Web Journal et diffuse des reportages des manifestations sur Ustream. Ces images sont suivies par des dizaines de milliers de personnes.
La NHK est la télévision publique qui n'a rien relayé des manifestations jusqu'au 20 juillet
S'ajoutent de grands rassemblements comme celui du lundi 16 juillet, jour férié, jour de la Mer, sous une chaleur de plomb.
Le 16 juillet près du parc Yoyogi
Voici un très vivant et représentatif reportage de 3 minutes, en français, réalisé par le site d'informations en ligne Aujourd'hui le Japon sur la manifestation du 16 juillet dans le parc Yoyogi. Vous aurez droit à une explication de la métaphore de l'hortensia (valable avec le cerisier, etc).

 

La prochaine grande manifestation est prévue pour le 29 juillet avec une ronde autour du bâtiment du Parlement. Je regrette bien de ne pouvoir y participer !
Le 16 juillet au parc Yoyogi
Le 16 juillet, entrée du parc Yoyogi, un policier filme tandis que ses trois collègues en civil prennent des notes
D'autres événements de grande ampleur sont aussi organisés, comme ces deux journées de concerts rock  NO NUKE 2012, qui ont eu lieu les 6 et 7 juillet à Chiba, dans la banlieue est de Tokyo, à l'initiative d'un musicien très célèbre au Japon et dans le monde, Sakamoto Ryûichi. Celui-ci est surtout connu en Europe pour ses musiques de films tels Le dernier empereur de Bertolucci ou Talons aiguilles d'Almodovar. Avec Oé Kenzabûro, prix Nobel de littérature, il fait partie des personnalités respectées et très engagées dans le mouvement antinucléaire.
Le week-end du 6-7 juillet, des dizaines de groupes, dont celui de Sakamoto, se sont succédés sur scène devant 150 000 personnes.
Un groupe étranger était invité, Kraftwerk, groupe allemand de musique électronique qui a fait un tube dans les années 75, Radioactivity.
Ce morceau est devenu emblématique de nombreuses manifestations antinucléaires dans le monde, et à l'occasion de ce concert, le groupe en a fait une version en japonais :


Les caractères qui apparaissent en fond de scène 放射能 signifient radioactivité
Les paroles sont, comme la musique, minimalistes mais efficaces :

チェルノビイリ ハリスバーグ セラフィールド ヒロシマ
チェルノビイリ ハリスバーグ セラフィールド フクシマ
今でも 放射能
今日も いつまでも
フクシマ 放射能
空気 水 すべて
今でも 放射能
いますぐ やめろ
Chernobyl, Harrisburg, Sellafield, Hiroshima
Chernobyl, Harrisburg, Sellafield, Fukushima
There's still radioactivity now
Today and forever
Fukushima radiation
Air, water, everything
There's still radioactivity now
Stop [nuclear power] now
Voici la variation faite sur le même thème musical par le Yellow Magic Orchestra, groupe de Sakamoto Ryûichi reconstitué à l'occasion de ce concert exceptionnel. A noter que Sakamoto laisse sur Youtube la diffusion libre du morceau, car il considère les lois du copyright désuètes à l'ère de l'internet.


Pour en savoir plus, voici un article de fond sur le rôle des musiciens dans la diffusion du mouvement antinucléaire parmi les jeunes (écrit par une journaliste japonaise, en anglais).