« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

mercredi 30 novembre 2011

Fin novembre au parc Hibiya... 日比谷公園への11月の終わり

Voici pour finir le mois de novembre quelques photos prises vendredi dernier, le 25 novembre, toujours au parc Hibiya.
Un jour de semaine, les activités et les promeneurs y sont différents.

サラリーマンの昼の休憩
Les employés, appelés salary-man, nombreux dans ce quartier d'affaires et de ministères, viennent déjeuner et profiter du soleil.
On mange le fameux bentô, boîte repas, préparé à la maison c'est très tendance, ou bien acheté sur place. Ombre ou soleil tous les bancs sont occupés.
Les jardiniers ont mis en place sous les pins dans l'étang un dispositif en bambous pour récupérer plus facilement les rameaux taillés et les aiguilles épilées.

五百年の首かけイチョウ
Tout le monde admire en passant le ginko biloba vieux de cinq cents ans, certains lisent son histoire, d'autres le photographient avec leur téléphone portable. Cet arbre était condamné à être abattu au moment de la création du parc, vers 1898, car il se trouvait au milieu d'un carrefour dans ce quartier alors en pleine transformation. Le responsable de la conception du parc, Honda Seiroku, forestier et introducteur au Japon de la sylviculture moderne qu'il était allé étudier en Allemagne, fit le pari de réussir sa transplantation. Il l'organisa lui-même car personne ne la croyait possible et mit un point d'honneur à mettre son poste en jeu : si l'arbre n'y survivait pas, il démissionnerait. L'arbre est toujours là, bien vivant, et il a gagné le surnom de "Ginko-ma-tête-sur-le-billot". En japonais , on dit "se faire couper le cou" lorqu'on perd son job.








"Oasis dans la ville", ainsi est aujourd'hui qualifié Hibiya, or pendant longtemps ce n'est pas la nature que les Tokyoites venaient y chercher mais "le parfum de la ville". En effet, vers 1900 à son ouverture on venait dans ce parc pour y boire du café assis à une terrasse "comme en France", manger au restaurant assis sur une chaise avec une fourchette et un couteau (un des restaurants s'appelle d'ailleurs Bois de Boulogne), se promener à la lumière des tout premiers éclairages électriques installés au Japon, écouter de la musique occidentale -ou militaire- autour du kiosque à musique, voir des parterres de tulipes tout à fait exotiques, bref on venait prendre un véritable bain culturel.

samedi 19 novembre 2011

En croisant Jean-Henri Fabre au parc Hibiya un samedi... 土曜日に日比谷公園でジャン・アンリ・ファーブルとすれ違う

Samedi dernier, je me suis rendue au parc Hibiya, situé en plein centre de Tokyo près du Palais Impérial, pour assister à une conférence du Shimin-kareji, Collège des citadins. Hibiya est le premier parc public conçu comme tel sur le modèle occidental au Japon et son éclectisme syncrétique raconte la mise en œuvre de la modernité, formes et idées, comme un bricolage qui a fait naître un modèle nouveau.
Parc Hibiya, pelouse et parterres... 日比谷公園の花壇と芝生

Le jardin japonais... 日比谷公園の日本庭園
Le Shimin-college, appelons-le ainsi, est un centre culturel régi par la fondation publique qui gère les espaces verts de Tokyo. Il organise des expositions, des cycles de conférences sur des aspects historiques ou environnementaux et diverses formations en rapport avec les parcs, les jardins, la nature en ville : activités pratiques, naturalistes, artistiques, éducatives ou ludiques pour les enfants, formation des guides bénévoles, formation continue des jardiniers professionnels, etc.
Après la conférence, je descends à la bibliothèque spécialisée sur ces mêmes thémes, et à l'entrée, présenté en évidence, je tombe sur ce livre très grand format bien ouvert.


市民カレッジの資料館にあるジャン・アンリ・ファーブルの本

Il s'agit de la traduction d'un ouvrage publié en 1991, Les champignons de Jean-Henri Fabre. L'édition japonaise, en 1992, reprend et annote les amples textes introductifs qui présentent l’œuvre de J.H. Fabre (prononcé Fabulu en japonais) et surtout reproduit à l'échelle d'origine 221 aquarelles que le naturaliste réalisa pendant les sept années de sa vie qu'il consacra à l'étude des champignons. La bibliothécaire m'explique que ce livre est mis en évidence parce qu'il y a beaucoup de champignons dans le parc en ce moment et que les aquarelles sont très belles.
Des associations font même des "sorties champignons", botaniques et gustatives, dans les parcs publics de Tokyo, dont Hibiya. Il existe des peuples, des cultures "mycophages", qui savourent les champignons, et d'autres qui les excluent de leur régime alimentaire, le Japon fait partie résolument des premiers, comme les pays latins d'Europe. Malheureusement, cette année, et bien d'autres ensuite, les cesium 131 et 137 retombés de Fukushima nous privent de ces plaisirs.

Récolte des fruits du ginko biloba, l'amande à l'intérieur du noyau est très appréciée... 銀杏拾いする
Lorsque je suis arrivée au Japon, en comprenant que j'étais française, on me citait, à ma grande surprise, Jean-Henri Fabre (1823-1915) comme le compatriote le plus connu ici. J'étais d'autant plus surprise qu'à l'époque, ça ne me disait rien alors que j'avais passé mon enfance à 25 km de son Harmas de Sérignan, mais aucune sortie scolaire ni familiale ne m'avait amenée jusque là-bas. 
Je ne suis pas la seule, si j'en crois ce texte puisé dans les Chroniques japonaises d'un certain "Fabrice au Japon" :
"C’est en lisant un recueil de récits de Yoko Ogawa, La bénédiction inattendue (paru en 2007), que je suis tombé une fois de plus sur une référence à Jean-Henri Fabre. Je dis une fois de plus car je n’ai jamais autant entendu parler de lui que depuis que je suis au Japon ! Ainsi ai-je rencontré plusieurs fois des Japonais qui m’ont parlé de lui avec respect et admiration, et qui connaissaient sa vie et ses Souvenirs entomologiques sans doute bien mieux que moi, qui suis pourtant originaire du Vaucluse, le département où ce naturaliste a passé une grande partie de sa vie."
Artistes et critique... 芸術家と批評家

Je suis allée à l'Harmas pour la première fois en 1991 accompagnant un couple de Japonais assez âgé qui se faisait une immense joie de découvrir la demeure de Fabre. Devant l'état d'abandon du jardin et le peu de cas fait de quelques documents laissés à disposition, ils n'ont rien dit mais leur silence montrait que cette visite leur laissait une bien étrange impression et beaucoup d'incompréhension. Le gardien pourtant nous avait expliqué que peu de Français avaient entendu parler de J.H. Fabre alors que tous les Japonais le connaissaient.

 
Chasseur de martin-pêcheur... 川蝉の写真家

Les Souvenirs entomologiques de Fabre bénéficient au Japon de quatre traductions, la dernière en date publiée de 2005 à 2009 à l'occasion du centenaire de cette œuvre. La première traduction, toujours éditée, fut publiée en 1922 et établie par Osugi Sakae (1885-1923), penseur politique porté d'abord vers le christianisme et le socialisme, activiste social, syndicaliste et anarchiste radical, défenseur de l’espéranto et de l'amour libre, arrêté lors d'un discours à Saint Denis en 1922, et assassiné par la police politique japonaise en 1923 lors de la confusion qui suivit le grand séisme du Kantô. Fabre a donc été lu et reconnu par la pensée la plus avant-gardiste du début du XXème au Japon.
Dans le même coin du parc... 公園の同じ所
A la suite de cette première traduction, les textes de Fabre ont été introduits dans les programmes scolaires japonais, primaire et collège. Ils sont toujours lus en classe car ils allient valeur littéraire, intérêt scientifique ainsi qu'une approche de la nature que reconnaît la sensibilité japonaise. En France, c'est justement cette forme littéraire qui a tant nui, et nuit encore, entre autres, à la reconnaissance de Fabre. Le débat y est toujours vif à son sujet, sur sa légitimité même, car il n'adhèra pas à la théorie de l'évolution, alors que pourtant son travail et son apport sont maintenant clairement situés dans leur perspective historique. Témoigne de ces débats, la discussion qui s'anime à propos de l'article rédigé dans Wikipedia, critiqué véhémentement comme trop élogieux par certains
En fait, on en veut à Fabre en France parce qu'il n'est pas Darwin et qu'on s'est fait voler la vedette par un perfide Anglais.
Au Japon, le fond culturel animiste qui perdure dans les rituels sacrés toujours vivants du shintoisme et la culture scientifique occidentale s'accommodent fort bien l'un de l'autre. Les textes de Fabre ne sont donc pas déconsidérés parce qu'ils seraient impurs scientifiquement, trop emprunts de poésie et d'une certaine spiritualité. Au contraire, on y est touché par sa vision du monde.
Exposition de chrysanthèmes... 菊の展覧会


De nombreux insectes font partie au Japon de ces éléments signes de saison, saisis par une expression sensible au moment précis de leur apparition éphémère. Ils révèlent, autant que les fleurs, cette émouvante fragilité du monde à laquelle chaque être vivant participe : les lucioles, les libellules, les cigales, les scarabées rhinocéros et les lucanes cerf-volants, les grillons et tous les insectes stridulants de l'automne, les araignées, ... Même le moustique trouve sa place en poésie, faisant ressortir notre grand dénuement et notre vulnérabilité.  
Les grands magasins, style galerie Lafayette, ont en été un rayon "insectes" avec tout le matériel nécessaire à la chasse, filets, boîtes, qui vendent aussi des bestioles pour les enfants qui rentrent bredouilles ou sont flemmards. A l'automne, dans les ruelles de Tokyo, on rencontre souvent de grandes mantes religieuses, vertes ou brunes. Il y a quelques jours, une mère s'arrête avec sa poussette à un feu, l'enfant d'environ deux ans se penche pour observer une mante religieuse qui l'intrigue. Le feu passé au vert, sa mère repart et lui aussitôt se met à brailler : "kamakiri, kamakiri, la mante je veux la prendre !" A à peine deux ans, en plein Tokyo, il sait déjà reconnaître et nommer cet animal. 
On peut se marier aussi à Hibiya, sous le ginko vieux de 500 ans...日比谷公園に行う結婚式

Au jardin d'enfants puis à l'école primaire, les enfants apprennent à reconnaître et attraper, sans les blesser ni se faire blesser éventuellement, nombre d'insectes ou de bestioles, même les larves de libellules avant de vider et nettoyer la piscine au printemps (chaque école primaire publique est dotée d'un bassin de plein air). On joue spontanément avec les cloportes trouvés sous les pierres et qui se mettent en boule dès qu'on les touche. On les appelle d'ailleurs dango-mushi, bestiole-boulette de riz, par analogie avec la forme ronde. Les dango, faits de riz gluant sucré, sont des douceurs très appréciées des enfants, donc rien de répugnant dans ce nom, au contraire. 
Voici la définition du cloporte que donne le Robert :
cloporte , , origine inconnue
Petit animal arthropode (isopodes) qui vit près des habitations sous les pierres, dans les lieux humides et sombres. « fourmillant de cloportes et d'insectes dégoûtants » ().
Vivre comme un cloporte, confiné chez soi.
Individu répugnant, servile.

Les petites bêtes restent des créatures du diable chez M. Robert, dans notre langue et notre imaginaire.

J'ai étudié le guide de l'enseignant associé à un manuel scolaire pour une matière enseignée les deux premières années de l'école primaire (6 et 7 ans), initiation à la fois aux sciences naturelles et à la vie en société (cette association est d'ailleurs parlante). L'approche est basée sur l'observation concrète, le contact direct avec ce qui se trouve autour de soi (repérer, faire pousser, attraper, élever, transformer -les végétaux-, dessiner, décrire, raconter, imiter). Beaucoup d'exemples d'activités prennent comme sujet des insectes, autant voir même plus que les plantes, notamment pour transmettre des notions comme la valeur de tout le vivant ou la transformation des cycles naturels. On initie les enfants à une véritable "observation participative" en leur demandant de se mettre à la place de l'insecte dans son milieu (éventuellement reconstitué dans un petit vivarium) pour imaginer ses réactions, déduire ses comportements, ce qui amène à une forme d'empathie. Exactement la méthode de Fabre qui refusait :
"la superficielle méthode généralement adoptée. On prend un insecte, on le transperce d'une longue épingle, on le fixe dans la boîte à fond de liège, on lui met sous les pattes une étiquette avec un nom latin et tout est dit sur son compte. Cette manière de comprendre l'histoire entomologique ne me suffit pas. Vainement on me dira que telle espèce a autant d'articles aux antennes, tant de nervures aux ailes, tant de poils en une région du ventre ou du thorax; je ne connaîtrai réellement la bête que lorsque je saurai sa manière de vivre, ses instincts, ses mœurs."  (Souvenirs entomologiques T. I, chap. IX, p. 136-137)
Pourquoi cette focalisation à l'école au Japon sur les insectes ? Parce qu'ils peuvent être élevés facilement, réagissent plus vite que les plantes, se métamorphosent encore plus radicalement, réalisant ces passages énigmatiques entre des mondes parallèles qui font partie de la conscience japonaise, parce qu'ainsi ils révèlent si bien le mystère de la vie, l'inconnu à nos pieds, parce que
C'est si naturel, ce me semble, si à la portée de chacun, si entraînant que de s'intéresser à tout ce qui grouille autour de nous !" Souvenirs entomologiques (T. VI, chap. III, p. 35).
Toutes les photos ont été prises le même jour, le 12 novembre 2011, au parc Hibiya où l'on fait encore bien d'autres choses...

 

mercredi 9 novembre 2011

Un jardin à Kyoto... 京都の一つの庭園

Un week-end passé à Kyoto et l'occasion de visiter un jardin ouvert par exception. De dimension modeste (1500 m²), il forme avec un bâtiment un ensemble à la fois simple, cohérent et raffiné.
Vue aérienne de Kohô-an... 孤篷庵の航空写真
Ce temple nommé Kohô-an, qu'on pourrait traduire par "Ermitage de la barque solitaire", fait partie d'un grand ensemble monastique bouddhique au nord de Kyoto, Daitokuji. Ce monastère fondé en 1319 et affilié à l'école zen Rinzai comprend 24 temples secondaires desservis par des rues pavées se coupant à angles droits, véritable cité dans la ville.
Chaque sous-temple est un clos avec son propre porche d'entrée, ses bâtiments plus ou moins importants, ses jardins et son histoire.
Porche d'entrée de Kohô-an au nord-est... 孤篷庵の北東の門

En 1643, Kobori Enshû (1579-1647), grand maître de thé, architecte renommé de bâtiments et de jardins, calligraphe, en somme artiste et intellectuel complet de son temps, repensa à son emplacement actuel Kohô-an pour en faire sa dernière résidence. Malheureusement pour lui, il ne put guère jouir de son ultime dessein mais heureusement pour nous, celui-ci fut achevé et même reconstruit après un incendie un siècle plus tard.
Kobori Enshû, héritier d'un petit fief, est issu de la classe des bushi, guerriers au pouvoir. Samurai de rang modeste mais cultivé, grâce à ses talents - et à un très bon mariage avec la fille d'un daimyô, feudataire de haut rang - il fit une grande carrière et laissa de nombreuses œuvres dont des jardins ainsi qu'une école reconnue dans l'art du thé.
Par l'entregent de son beau-père qui fut à la fois un proche de l'empereur, du cercle intellectuel de la cour, et un conseiller du troisième shogun, le généralissime Tokugawa Iemitsu (1604-1651), Kobori Enshû accéda à de hautes fonctions. Il fut intendant des constructions impériales, puis architecte et concepteur de jardins pour le shogunat et d'autres dignitaires du régime, en ce début de l'époque Edo (1603-1867) où se met en place l'organisation sociale stricte maintenue pendant presque trois siècles par les dirigeants Tokugawa.
Assemblage caractéristique de l'allée : pierres taillées régulières et pierres brutes... 中の道の特徴的な敷石:幾何学的な切り出した石と天然の石

Kobori Enshû fait partie de ceux qui vont accomplir la jonction, moment essentiel, entre la culture classique issue de l'aristocratie de cour, avec son raffinement et sa longue histoire, et celle des guerriers, plus pragmatique, voir rustique. A celle-ci, s'ajoutent l'apport culturel des temples bouddhiques zen, leur esthétique empreinte d'une simplicité essentielle et d'une certaine vision du monde, ainsi qu'un intérêt ravivé pour la culture chinoise. Ces différentes sensibilités vont se rencontrer, se mêler et générer de nouveaux jardins et formes architecturales, des façons renouvelées d'apprécier les paysages, de nouvelles formes de poésie, de peintures, ... propres à l'époque Edo.
Kohô-an, dernière création et demeure de Kobori Enshû, représente sans doute un moment d'acmé dans cette fusion, empreinte de l'expérience du maître et de l'accomplissement d'une vie.
Allée d'entrée de Kohô-an au nord-est... 孤篷庵の入り口の道

Après avoir longé à l'est une allée et pénétré dans l'édifice principal, on arrive au sud occupé par une longue salle bordée d'une galerie engawa qui permet de jouir de la lumière et du soleil ou de l'ombre fraîche de son avant-toit, selon la saison. Cette pièce est ouverte sur une étendue de fin sable ocre rosé, finement balayé en ondulations douces, bordée d'une double haie et fermée par des plantations basses aux deux extrémités. 
Ce paysage "sec", karesansui en japonais, ainsi nommé car sans étang, évoque les sites célèbres de Omi, région située au bord du lac Biwa proche de Kyoto, eux-mêmes appréciés en référence à des sites chinois connus au Japon par des lavis et des poèmes. Ce jardin sans eau évoque donc le bord d'un lac, la ligne d'horizon est exprimée par la surface plane et la ligne des haies, l'onde et le rivage par les traces en courbes douces du balai de bambou sur le sol sablonneux. A l'origine, la vue au-delà de la haie allait vers le lointain, jusqu'aux montagnes qui évoquaient l'autre rive du lac, paysage emprunté ainsi intégré dans le jardin. Le développement urbain a eu raison de cet emprunt paysager et de grands arbres ont été plantés pour le cacher.
Jardin sud vu de la salle principale... 書院の南向きの枯山水庭園

La métaphore de la promenade en bateau se poursuit vers l'angle sud-ouest, dans une autre partie du jardin visible de la coursive qui forme une petite terrasse garnie d'une fine rambarde semblable à celle des bateaux de promenade yakata-bune
Jardin sud-ouest, plus pittoresque... 直入軒の縁側から風情のある庭園の景色

Ce parcours entre dedans et dehors s'achève côté ouest dans une pièce tout à fait particulière, réservée à la cérémonie du thé, alors qu'en principe le pavillon de thé est à l'écart, sorte de chaumine d'une rusticité très sophistiquée, accessible après la traversée d'un jardin boisé par un sentier. Là, le parcours se fait en bordure du bâtiment, pour arriver dans cette pièce relativement spacieuse, haute et claire par rapport aux pavillons de thé exigus, bas et peu éclairés. 

Cette salle pour le thé s'ouvre sur un jardin encore plus réduit, à moitié clos par une haie proche, qui oblige le regard à se poser sur deux objets devant celle-ci. Sont disposés un bassin monolithique de pierre polie qui recueille les eaux de pluie pour les ablutions, et légèrement en retrait, une lanterne, que Kobori Enshû a construite en assemblant des pierres d'origines diverses, plus ou moins naturelles, patinées ou travaillées. L'une, dit-on, proviendrait d'Inde, une autre de Chine et encore une autre de Corée, les trois pays qui ont contribué à amener le bouddhisme jusqu'au Japon. 
En lisière du bâtiment, des galets noirs forment une surface évasée qui suggère le sillage d'un bateau. 
A ces subtiles séquences en profondeur, s'ajoute un cadrage vertical par la disposition audacieuse d'un écran shôji de papier blanc qui découpe exactement la vue au niveau du sol sur le jardin. Tout ce dispositif pourrait sembler trop composé et statique, ce serait sans compter le mouvement du temps journalier rendu sensible par le changement de la lumière puisque cette pièce à l'ouest reçoit les rayons du couchant, et le passage des saisons perceptible à travers la végétation et les météores, pluie, vent, neige... Rien ne bouge mais tout change sans cesse. 


Parcours architectural et paysager, métaphore filée du passage en barque, Kohô-an est l'ultime chef-d'oeuvre d'un homme qui fut un passeur entre des univers culturels différents, arrivé au terme de la course de sa vie. 
C'est sans doute ce caractère de complétude totale entre le fond, la forme, l'époque, le créateur et sa vie, qui rend si saisissant et touchant ce lieu, Kohô-an.

Note : à part la troisième photo, détail du pavement, toutes les autres sont des captures sur Internet car il est interdit de photographier sur place. 

jeudi 3 novembre 2011

A propos des rideaux de verdure... みどりのカーテンについて

J'en profite pour signaler un blog très plaisant, Tokyo Green Space, tenu par un Américain résidant à Tokyo, Jared Braiterman, qui se présente comme design anthropologist. Si, si, ça existe aux States, c'est une discipline académique. Il photographie et écrit sur la nature qu'il rencontre au quotidien, aux coins des rues de la plus grande ville du monde. Il a rédigé des articles très intéressants qui sont référencés sur son blog pour ceux que cela intéresserait, notamment sur la "guerilla jardinière" telle que la pratique les Japonais depuis toujours, c'est à dire installer des pots de fleurs dans les ruelles, sur les trottoirs, planter aux pieds des arbres, laisser les herbes pousser, etc, dans l'espace public.
Une de ses notes récentes montrent un exemple de rideaux de verdure sur un balcon, un thème qu'il a bien sûr abordé.


Pour les lecteurs qui se sentent proches du Japon, je conseille de regarder les archives du mois de mars. Les pages et les jours se déroulent, il y a un avant et un après le 11 mars, avec le cortège des questions et des problèmes qui émergent, en même temps que les saisons qui suivent leur cours. C'est beau, simple et émouvant.