« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

jeudi 14 juin 2012

Dans le bain japonais... 温泉に入りましょう

Les Japonais travaillent comme de petites fourmis, c'est bien connu, mais chose moins connue peut-être, ils savent aussi prendre du bon temps.
Un loisir des plus appréciés consiste à "aller prendre les eaux", c'est à dire passer un week-end dans une auberge dotées de bains alimentés par une source chaude naturelle, une auberge thermale en sorte.
Site de Takaragawa onsen, fin mai... 五月の群馬県宝川温泉
Le Japon est caractérisé par son volcanisme actif avec lequel la coexistence n'est pas toujours pacifique. Celui-ci offre l'avantage de générer de multiples sources chaudes, riches en minéraux. A proximité des eaux les plus abondantes, se sont installées des auberges où l'on va se reposer, profiter des bains, de bons repas arrosés de sake local, et des paysages. L'attrait des courts séjours dans ces ryokan, en famille, entre amis, avec des collègues, jeunes ou vieux, ne se dément pas. Des milliers d'auberges thermales sont réparties dans tout le Japon, des brochures vantant leurs charmes sont à disposition dans toutes les gares, les guides touristico-gastronomiques sur les ryokan et leurs bains remplissent les rayons des libraires et des programmes de télévision plusieurs soirs par semaines sont consacrés à ces excursions prisées par les Japonais de 1 à 99 ans.
Bain extérieur rotenburo... 露天風呂
Des noms de onsen, littéralement source chaude, sont cités dans les textes les plus anciens, recueils de mythes ou anthologies poétiques. Les empereurs des temps lointains fréquentaient des sources, lieux sacrés liés aux divinités des montagnes et des volcans. Le bain s'est imprégné de sens, rituel purificatoire et de communion avec les forces de la nature ; il en a gardé une forte signifiance qui va bien au-delà du simple rôle hygiénique. 
Il semble que l'intérêt thérapeutique se soit révélé lors de l'époque Kamakura (1185-1333), période où la classe des guerriers prend le pouvoir à l'empereur, réduit à un rôle de figuration intelligente, pour le garder pendant de longs siècles. Sans doute parce que, après les batailles qui émaillent ces temps de guerres claniques devenus incertains, les guerriers ont remarqué que leurs blessures et leur stress s'atténuaient grâce aux eaux réparatrices. 
A droite, hôtellerie la plus ancienne et au fond, des bains... 右に最も古い建物
Pendant l'époque Edo (1603-1867), sont publiés les premiers guides et cartes qui répertorient les onsen fréquentés par des voyageurs de toutes conditions, nombreux pendant cette période de paix et d'activité. On fréquente certains lieux en fonction de l'attrait saisonnier comme les ramures fraîches du printemps ou les feuillages rougeoyants de l'automne. 
A partir des années 1920, avec la création des premiers parcs nationaux, démarre la période moderne des auberges thermales qui sont des occasions de développement des régions rurales par la promotion touristique. Là où il n'y a pas de onsen répertorié, on creuse pour trouver de l'eau chaude ce qui n'est jamais bien difficile. Un texte de loi sur les onsen donne une définition (quantité d'eau, qualité, température) et un cadre juridique à leur exploitation.

L'accès se fait à Takaragawa onsen par une navette qui nous attend à la descente du train, à une heure et quart de Tokyo. Après une bonne heure de bus, nous arrivons à l'auberge qui égrène des bâtiments d'époques différentes au bord d'un torrent dévalant entre des montagnes boisées. Nous laissons nos chaussures à l'entrée et choisissons parmi les couleurs et motifs au choix, notre yukata, littéralement vêtement de bain, sorte de kimono de coton, porté avec une ceinture et une veste. Puis une okamisan nous accompagne à notre chambre et nous demande des précisions sur nos horaires de repas ou autre désir. 
En dehors du réseau des téléphones portables... 携帯電話が繋がらない時
Ensuite, une fois en yukata, commence l'exploration du site. Cette auberge propose de vastes bains intérieurs, équipés de douche et de tout ce qu'il faut pour se laver. Mais ce sont les bains à l'extérieur, rotenburo, construits de rochers dans le lit du torrent, qui font l'attrait et l'intérêt de Takaragawa onsen. Leur spécificité, qui se fait rare, c'est qu'ils sont mixtes, chacun équipé d'un pavillon pour se déshabiller dans des vestiaires séparés. Cependant, un bain, en encorbellement sur un rapide du torrent, est réservé aux femmes. 
Pour entrer dans l'eau, une petite serviette rectangulaire blanche sert à cacher ce qu'on veut cacher, et une fois assis dans le bain, la hauteur de l'eau permet d'avoir les épaules couvertes. Quand on a trop chaud, on peut s'asseoir sur de grosses pierres disposées autour du bassin.

Les bassins sont suffisamment nombreux et grands pour éviter l'impression de promiscuité. A un moment j'observe les "curistes" autour de moi : une famille, le couple parental dans la quarantaine et leurs trois garçonnets de 5 à 10 ans qui s'ébattent ; un jeune couple, lui est français, elle japonaise ; une grand-mère, sa fille, et son petit-fils de 4 ans ; trois retraités, sans doute anciens collègues. Les bavardages sont bas, le temps s'étire s'il ne s'arrête, seuls les enfants s'agitent dans une certaine limite. De bain en bain, pour profiter de paysages différents, on se croise, se retrouve, échange quelques mots sur la beauté des lieux, le temps qu'il fait, les ours, singes et autres animaux qui habitent les montagnes, les spécialités culinaires du coin, ... Le bain, d'ordinaire réservé à l'intimité et à la nudité, devient lieu de sociabilité.
Bain réservé aux femmes... 女性専用の露天風呂
Et le lendemain matin, le rituel reprendra. Avant d'aller faire une randonnée, d'aller visiter les environs, ou bien de rentrer chez soi.



3 commentaires:

  1. すごくいいところですね!!

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  2. Le rêve...
    Mais combien de Japonais peuvent ils se l'offrir ? C'est tellement loin du peuple qui se retrouve dans des piscines surpeuplées.
    Vous avez de la chance de pouvoir bénéficier des bienfaits des lieux des privilégiés. Merci de les avoir partagé par vos écrits.

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