« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

samedi 16 mars 2013

Nos amis les bêtes... 動物の習性

Voici la vidéo qui a été mise en ligne sur le site du zoo de Ueno, à Tokyo, le 12 mars dernier.

L'événement, qui s'est produit le 11 mars, fait la une de toutes les chaînes de télévision, même du journal télévisé de la NHK, et aussi des quotidiens qui y consacrent des articles entiers : les deux grands pandas du zoo de Ueno se sont accouplés, et même plusieurs fois. C'est le niveau sonore des ébats qui a interpelé les responsables, étonnés de cette fougue. Aucun détail n'est épargné.

L'an dernier, à la même époque, nous avions suivi les préliminaires, mais plus discrètement, puis la grossesse pressentie, enfin la naissance d'un bébé panda. Là, ce fut un délire général et nataliste, les femmes enceintes accouraient à Ueno, les jeunes mères s'y précipitaient avec leur poussette, le petit panda devenait effigie de tout et de n'importe quoi. Les médias profitaient et abusaient du désir commun de partager, enfin, une nouvelle heureuse.

Les responsables zootechniciens dévoilaient aux foules attendries, images à l'appui, que Shin-Shin était une bonne mère, allaitait bien son petit, en prenait soin. Les futures ou jeunes mamans, émues, répondaient lors de mémorables micro-trottoirs qu'elles prenaient inspiration sur cette maternité idéale. On ne disait plus rien sur le père Ri-Ri, mais c'est sans doute normal. 

Las, au bout d'une semaine, le petit panda est mort. D'une pneumonie nous révéla en pleurs (je n'exagère pas) le directeur du zoo. Ce fut quasiment un deuil national. La Chine, qui loue ces pandas au Japon (un million de dollars par an), à un poil d'attaquer militairement, envoya un message de condoléances, après en avoir envoyé un de congratulations une semaine plus tôt. Le pays avait enduré un séisme majeur, subi un tsunami ravageur, s'enlisait dans la radioactivité, mais allait-il se remettre de la mort du petit panda ?

Le printemps finit toujours par revenir, et vu le succès de la saison 1, la saison 2 attaque très fort et hard. La vidéo tourne sur toutes les chaînes, elle est reprise sur d'innombrables sites, même par les médias étrangers. 

Bien sûr, on ne peut pas rester indéfiniment les yeux rivés sur les réacteurs de la centrale de Fukushima, on ne peut pas s'inquiéter sans cesse des rejets continus en mer, on ne peut pas songer perpétuellement aux agriculteurs retournant leur terre plusieurs fois dans l'espoir d'enterrer un peu plus les nucléides, on ne peut pas s'inquiéter à longueur de temps des conditions de travail des ouvriers sur le chantier prévu pour durer 40 ans, on ne peut pas penser continûment aux pêcheurs qui ramènent au port des poissons trop contaminés et les rejettent en mer, ...
... il faut trouver des dérivatifs pour divertir nos esprits fatigués et nous détourner de trop lourdes préoccupations.

Voilà sans doute pourquoi les histoires de bêtes, de sexe, sont reprises de façon récurrente par les médias. Tiens, des histoires de bêtes, de sexe, qui reviennent en boucle, ça ne vous dit rien ? 
Animaux anthropisés ici, humains bestialisés là. Bon, ici au Japon, nous avons déjà le film, et a priori Shin-Shin et Ri-Ri vont nous épargner le livre.

Bonus sonore:
Les événements graves ne stimulent pas que des exutoires faciles. Ils peuvent aussi inspirer l'humour le plus noir et le plus grinçant. Comme dans ce sketch du comédien Didier Bénureau, sobrement intitulé Fukushima. C'est absurde et fou, comme sur place.

 Cliquer sur ce lien puis sur le fichier Mp3 Fukushima

Ville de Fukushima, le 11 mars 2013, costumes locaux, anciens et nouveaux...福島市3月11日、昔と現在の民族衣装


 

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