« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

samedi 26 janvier 2013

Scène de la vie parisienne... パリの生活の場面

Ceci n'est pas un conte de Noël.
Paris, dimanche 23 décembre, boulevard des Capucines. Dernière ligne droite des courses de fin d'année entre la Madeleine et l'Opéra, temples du luxe. Les griffes et marques rivalisent de rutilance, les passants s'affairent avec leurs paquets. A l'Olympia, des petits enfants bien mis sortent de "Oui-oui et le grand Carnaval".

Dans le renfoncement à l'entrée d'un magasin étonnamment fermé en ce jour d'apothéose consumériste, une dame a garé ses affaires sous une bâche de plastique fixée avec astuce par un balai. Assise sur un pliant, immobile sous son fichu, elle attend. Sans pathos, elle espère que l'on veuille bien lui laisser quelques pièces. Entre la vitrine des manteaux de fourrures et celle des tenues de soirée en lamée, elle semble sentinelle de notre paroxysme social.
サルデーニャ島から来たおばあさん 

Quelque chose de grave émane d'elle. Sa présence lourde et silencieuse interpelle. Elle incarne une figure emblématique du nouvel ordre urbain : Paris  a expulsé inéluctablement ses artisans, ses ouvriers, ses employés, Paris s'est vidée de son peuple ; capitale du luxe presque toute occupée par les nantis, parcourue par les touristes, et hantée par les parias. 

Je m'approche pour lui parler et lui demander si je peux la prendre en photo, elle me répond par un geste las, ni oui ni non. Au point où elle en est. 
Elle ne parle pas français, je lui demande d'où elle vient.
Elle me répond : "de Sardaigne". Elle est donc Italienne !

Comment en est-elle arrivée là, à mendier sur ce coin de trottoir ? Elle travaillait chez deux vieilles dames, l'une est morte, puis l'autre. Elle s'est retrouvée sans rien. La petite allocation qu'elle a perçue quelques temps s'est arrêtée en mars 2012 et elle ne peut recevoir de pension car elle n'a que 55 ans. Elle a deux fils avec des enfants, eux aussi dans des situations bien difficiles, elle ne veut pas être un poids supplémentaire. Elle ponctue ses réponses pour que je comprenne mieux comment on en arrive là par des "grande crisi ! grande crisi !" en ouvrant les bras et des yeux ronds. Sa bouche mal dentée trahit une pauvreté ancienne que la "grande crise" a achevée de transformer en misère.  
Lorsque le froid qui monte du sol devient trop insupportable, elle va se réfugier dans des toilettes repérées au sous-sol et se réchauffe les mains sous le robinet d'eau chaude, puis remonte.
オペラ座の近く毛皮コートのショーウインドーの前にお金を請います

Ce même dimanche 23 décembre, Mario Monti, chef démissionnaire du gouvernement italien, arrivé au pouvoir par un coup d'état légal ("un coup d'état financier" pour reprendre l'expression des Pinçon-Charlot), faisait une conférence de presse très attendue.
D'après Libération :
"Mario Monti s’est réjoui qu’après treize mois à la tête du pays, l’Italie soit «sortie de la crise financière» et ce, «sans aides européennes, et sans aide du FMI» après avoir rappelé «la situation périlleuse dans laquelle se trouvait le pays» lorsqu’il en a pris la tête en novembre 2011. «Les Italiens peuvent de nouveau garder la tête haute comme citoyens européens», a-t-il dit."
On va transmettre à la dame du boulevard des Capucines à qui cela fera sûrement plaisir.

Le Monde décrit Monti
"Orgueilleux pour les résultats obtenus, notamment sur la scène internationale où M. Monti a ramené l'Italie au rang qui est le sien de troisième puissance économique de la zone euro."  
Quel sens a ce classement alors que le nombre de laissés pour compte augmente ? Quelques jours plus tard, l'Institut national de statistique italien (Istat) révélait que 29,9% des Italiens étaient menacés par la paupérisation et l'exclusion sociale. Ce taux était de 26,3% en 2010, et est nettement supérieur à la moyenne européenne de 24,2% soit quasiment un quart de la population !

Le soir du 25 décembre, un peu après minuit, le messianique Mario Monti inaugura son compte Twitter par ce message : 
"Ensemble nous avons sauvé l'Italie du désastre. Maintenant il faut renouveler la politique. Cela ne sert à rien de se plaindre, il faut s'engager. Elevons-nous en politique."
Source : blog de Philippe Ridet, correspondant du journal Le Monde, Campagne d'Italie

Cela ne sert à rien de se plaindre, la dame du boulevard des Capucines assise sur son pliant en sait quelque chose. 




 

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