« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

mercredi 9 mai 2012

Sayonara ?... さよなら原発 ?

Samedi 5 mai, entre 17h et 23h, le dernier réacteur nucléaire encore en activité au Japon, sur 54, s'est arrêté pour une maintenance prévue. Il se trouve sur l'île septentrionale de Hokkaidô, à Tomari, site bien nommé car écrit avec d'autres caractères mais homophone, tomari peut s'entendre arrêt. Peut-être est-ce prémonitoire d'un arrêt définitif du nucléaire au Japon ?
La chute des fleurs, le 13 avril, parc Sumida, 隅田公園
Donc pour la première fois depuis 1970, le Japon vit sans énergie d'origine atomique. Une sortie du nucléaire en 14 mois à peine, que beaucoup voudraient voir entérinée ; mais d'autres forces essaient de persuader de remettre en route au plus vite deux réacteurs qui seraient déjà testés et "sécurisés".
Quoi qu'il en soit, le redémarrage d'une centrale ne sera pas pour cet été. Rien n'est gagné ni d'un côté ni de l'autre. La lutte est serrée.
La chute des fleurs, le 13 avril, parc Sumida, 隅田公園
Samedi, quatre manifestations se sont déroulées en divers lieux symboliques de la capitale, par exemple devant le ministère de l’Économie.
En cette fin de dimanche après-midi, j'écoute à la radio, sur une station FM équivalente à France Musique, un programme de musique contemporaine avec une œuvre d'un compositeur russe inspirée par Tchernobyl. Une façon de faire passer un message. Je ne comprends pas bien quand on dit qu'au Japon, on ne parle pas de ce qu'il se passe, au contraire j'ai l'impression d'une imprégnation continue.
Dernier hanami, le 13 avril, parc Sumida, 隅田公園
Le journal Mainichi publie aujourd'hui un article  (en anglais) après un entretien avec Hamazaki Katsushige, 80 ans, premier ingénieur japonais diplômé dans le domaine de l'énergie nucléaire. 
En 1954, Hamazaki tomba sur un article dans un magazine qui parlait de cette nouvelle technologie pour produire de l'électricité que les USA, l'URSS et des pays européens étaient en train de développer. Il pensa que ce serait formidable pour le Japon, alors à l'amorce de sa période de haute croissance économique, et dépourvu de ressources énergétiques fossiles. De retour au Japon après des études au Royaume-Uni, il intégra en 1959 Chûbu Electric Power Co et travailla à partir de 1963 à la mise en route d'un réacteur livré par les Américains de General Electric, dans la préfecture de Fukui. La mise au point avant le démarrage fut lente et laborieuse mais "Je ne me sentais jamais fatigué car j'étais rempli du sentiment de soutenir le développement économique du Japon." dit-il. Il se souvient du moment où "la lumière de l'énergie atomique" arriva, du soleil levant sur la baie de Tsuruga à ce moment-là, des cris de joie, des banzai, des vivats que tous lançaient. 
Le même jour, se rappelle-t-il, ouvrait l'Exposition Universelle de Osaka, un événement majeur du Japon de l'après-guerre. Le thème en était "Progrès et harmonie pour l’humanité" et plus de 64 millions de personnes la visitèrent.
Par la suite, Hamazaki devint vice-président de Japan Atomic Power Co où il finit sa brillante carrière.
Dernier hanami, le 13 avril, le long de la Sumida, 隅田川にそって
En mars 2011, quelque 40 ans après le démarrage grandiose la centrale de Tsuruga, devant les images des bâtiments de la centrale n°1 de Fukushima, dévastés par les explosions après le séisme et le tsunami, Hamazaki est anéanti. "Je me suis senti précipité dans un abîme." dit-il. Les protections à multiples facettes dont il pensait qu'elles assureraient une "sécurité absolue" (sic) ont été si facilement balayées. 
Il conclut : "Ce 5 mai, c'est un jour où le peuple japonais doit reconsidérer sa politique énergétique, et cela comprend de revoir nos modes de vie".
Dernier hanami, le 13 avril, le long de la Sumida, 隅田川にそって
Une amie française, croisée ces jours-ci, prenant un air tragique, me déclare : "Ce n'est plus le même pays." Certes, mais écoutons Friedrich Hölderlin et envisageons avec lui que "là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve".













  

2 commentaires:

  1. Très beau et magnifiquement documenté .
    Merci

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  2. Jean-Christophe Nozières13 mai 2012 à 07:07

    Bonjour, merci pour ces nouvelle de la 1ère expérience de sortie (?) du nucléaire et de la lucidité de M. Hamazaki : "…et cela comprend de revoir nos modes de vie".

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