« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

dimanche 12 février 2012

L'école, le nucléaire et la neutralité... 教育と原発と中立性

Ma vive réaction à la visite de l'usine de combustible nucléaire Mitsubishi-Areva à Tokai-mura* par les classes de secondes du lycée franco-japonais de Tokyo le 17 janvier dernier, a été perçue par certaines personnes comme "violente". Je tiens à dire que je ne doute pas un instant de la bonne volonté de tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette sortie. Et que je ne cherche ni polémique inutile, ni buzz à la petite semaine, mais "le contraire de faire une histoire". Cependant, pour revenir sur un commentaire critique, je ne pense pas qu'on puisse faire l'impasse sur la nature de la production d'une usine visitée par une classe parce que le but donné ne serait que découvrir des entreprises et des métiers. Ce serait se priver d'une occasion de réfléchir.

Neige à Tokyo le 18 janvier... 1月18日東京にある

Apprendre après coup le contenu de cette visite dont l'objectif annoncé était donc de "découvrir les métiers scientifiques et technologiques liés à l'énergie" et des "possibilités de carrières internationales", et surtout constater l'absence de mise en perspective par rapport à la situation du Japon, où nous vivons et qui doit faire face à un accident nucléaire majeur depuis le 11 mars, à 270km de Tokyo, cela aussi a été violent. Et vraiment incompréhensible. Pas seulement pour moi puisque l'association de parents d'élèves AF-fcpe a également réagi. 

Cette impression de déni de la réalité** serait en fait dû à un "problème de communication". Chose mieux précisée après coup encore, cette visite s'inscrit dans un projet "Eco-école", sur le thème de l'énergie cette année, et dans ce cadre, divers modes de production d'énergie devraient être présentés, le solaire devant succéder au nucléaire. Ainsi, tandis que l'école affirme son souci de ne s'interdire aucune thématique et de rester neutre, chacun pourra en connaissance de cause exercer son esprit critique. 

Cerisiers sous la neige. A Fukushima, la radioactivité est surnommée neige invisible... 雪の桜。福島では放射能は目に見えない雪だと言われています

Ne s'interdire aucun sujet, c'est très bien mais la neutralité, cela signifie-t-il présenter l'un après l'autre, sur le même plan, divers modes de production d'énergie, le nucléaire, puis le solaire, et ensuite les "bio-carburants" ? Nous sommes nombreux à penser qu'aujourd'hui un tel inventaire est tout sauf neutre. Parce que dans le cas des installations nucléaires, malheureusement, les conséquences d'un accident se font ressentir à des échelles de temps et d'espace que nous ne maîtrisons pas, voire incommensurables. Ici au Japon, dans un pays directement concerné, où la sismicité aiguë augmente fortement les risques, nous sommes bien placés pour le voir.

Aller visiter des installations nucléaires, nous ne sommes pas contre, mais il nous semble qu'on ne peut s'épargner ni la prise en compte des données contextuelles (c'est vraiment un minimum), ni même une réflexion de fond (qui ne veut pas dire une pensée unanimiste), par exemple autour des fameux trois E (economy, environmental conservation, energy independance). 

Ceci en guise d'épilogue sur un sujet important et sensible.                          Je me réserve le droit de supprimer les commentaires insultants ou déplacés.

* La destination annoncée aux élèves était Tsukuba qui évoque pour ceux qui résident au Japon une université et une technopole. Le nom de Tokai-mura suscite d'autres évocations puisque cet endroit "is specifically well know as the birthplace of atomic power in Japan", dixit la brochure ramenée. En effet, la première centrale nucléaire japonaise y a été mise en activité en 1963. Puis autour de celle-ci, se sont concentrés centres de recherche et industries liés à l'énergie atomique, tels plusieurs sites de fabrication de combustible. Pour ceux qui sont depuis plusieurs années au Japon, Tokai-mura évoque surtout le lieu où se produisit un sérieux accident de criticité dans une de ces usines, JCO, en septembre 1999, qui fit deux morts et plusieurs centaines de personnes irradiées.

** D'autant plus curieux que l'usine en question se trouve dans la préfecture de Ibaraki qui jouxte celle de Fukushima. Un père japonais m'a fait ironiquement remarquer qu'en mars dernier, le gouvernement français envoyait un avion pour rapatrier ses ressortissants et qu'en janvier, on emmenait les élèves visiter des installations nucléaires à Tokai-mura à deux pas de Fukushima. 

 

1 commentaire:

  1. Bonjour Sylvie et bravo pour ce nouveau message. Vive la liberté de penser, vive la liberté de parole. Le discernement, l'esprit critique, la conscience éclairée sont en train de disparaître dans notre société régie par les lobbys industriels, la finance, la consommation et la communication de masse. Restons en éveil et continuons de nous indigner lorsque c'est nécessaire. Alors attendons la suite du programme de visite avec l'éolien, le solaire et la géothermie. Enfin, c'est à espérer !

    RépondreSupprimer