« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

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mercredi 30 avril 2014

Une nouvelle variété de plante découverte... 皇居にある植物の新種

Une nouvelle variété d'anémone vient d'être découverte par une équipe de botanistes au sein des jardins du Palais impérial qui se trouve au centre exact de Tokyo.

Au milieu de l'enceinte impériale qui représente quelque 115 hectares dans un périmètre de 6 km, se trouve une aire de 25 hectares laissée à son évolution spontanée, nommée Fukiage.
A l'époque d'Edo, c'était un jardin d'agrément attenant à une résidence. A la suite du grand incendie de Meireki en 1657, dans lequel une grande partie de la ville nouvellement bâtie partit en fumée ainsi que le château du shogun qui venait d'être reconstruit, il fut décidé de réserver cet endroit en tant que bois coupe-feu. Les arbres y sont donc très vieux, certains ont 300 ou 400 ans, autour d'une source qui forme un étang, d'où le nom de Fukiage, Jaillissement.
Page de la NHK qui présente l'information avec une vidéo.

L'empereur s'est réjoui de cette nouvelle, lui qui conscient de l’intérêt et de la qualité exceptionnelle de l’environnement à l’intérieur de l’enceinte du palais, a pris l’initiative en 1996 de l’ouvrir à un groupe de chercheurs afin d'effectuer des inventaires de la faune et de la flore. 3 638 espèces d’animaux et 1 366 espèces de plantes ont été répertoriés (plus une !), leurs évolutions et patrimoines génétiques font l’objet d’études. La nouvelle anémone s'appelle donc en japonais fukiage nirinsô フキアゲニリンソウ, le nom botanique doit être Anemone flaccida var Fukiage. Elle fait 40 à 50 cm de hauteur, et sa fleur blanche s'incline lorsqu'il pleut. Le "centre vide" tel que Roland Barthes avait qualifié le Palais impérial dans son livre L'empire des signes tellement sa nature lui semblait insaisissable se révèle plutôt très habité et bien vivant.

D’abord centre du pouvoir réel puis symbolique, enceinte interdite et sacrée, le site du château d’Edo devenu palais impérial est en train de se transformer en sanctuaire écologique. Du rôle de garant sacré de la prospérité et de la fertilité du pays (l’empereur conduit toujours chaque année des rites agraires de repiquage et de récolte du riz), puis symbole de la nation, la figure de l’empereur se convertit en témoin et veilleur de la biodiversité du territoire. Depuis l’époque Taishô (1912-1926), il est de tradition que les membres de la famille impériale se consacrent à l’étude des sciences naturelles, censées éviter les sujets polémiques ou risqués ayant trait à l’histoire nationale. Cependant, dans le monde actuel où la question environnementale devient primordiale avec des implications politiques croissantes, la conduite de l’empereur prend une signification d’engagement dans le champ social. Comme quoi, il est difficile d’échapper à la mise en perspective historique de ses actes, surtout si on est empereur.

Sur ce même sujet de la nature en ville, la chaîne Arte diffuse une série de documentaire Naturopolis, à partir de vendredi 2 mai (Rio de Janeiro), le vendredi 9 mai (New York), le vendredi 16 mai (Paris) et le vendredi 23 mai (Tokyo) pour lequel j'ai "fait du conseil" auprès des réalisateurs.
Pour plus de renseignements, voir sur le site d'Arte le lien suivant.


mercredi 12 mars 2014

Un avant-goût du printemps, les fleurs de pruniers... 梅、春近しを思わせる

Cette année, le mois de mars reste hivernal mais malgré tout, le soleil généreux incite, peu à peu, les plantes à bourgeonner.
Prunus mume... 梅

Avant les grandioses cerisiers, une première floraison annonce le printemps, celle des prunus mume, 梅 (ume) que l'on appelle communément en français pruniers ou abricotiers du Japon. Cet arbre est rare en Europe, la vague du japonisme qui a tant orientalisé les jardins, curieusement, ne l'a pas diffusé.
Au Japon, les pruniers sont arrivés de Chine il y a fort longtemps, à partir du VIème siècle, en même temps que tous les apports politiques, culturels, religieux, venus du continent. Leur floraison et leur fragrance délicates ornaient d'abord les jardins aristocratiques et ont imprégné la poésie. Leurs fruits qui tiennent de la prune, de la pêche et de l'abricot, sont récoltés en juin, au moment de la saison des pluies nommée en japonais la pluie des prunes 梅雨. Ces "prunes" ne sont pas consommables crues mais traitées en saumure, elles sont un condiment très prisé devenu iconique, car une prune rouge posée sur le riz blanc en relève le goût autant que la vue.
 
Prunier pleureur... しだれ梅

Au XVIIIème siècle, dans la très grande ville d'Edo (devenue Tokyo) qui comptait largement plus d'un million d'habitants, les vergers de pruniers ont commencé à devenir objet d'appréciation par les citadins en quête de promenades, de sensations et d'occasions de rencontres nouvelles. On a lancé ume-mi, admirer les pruniers en fleurs, après avoir commencé à pratiquer à cette même époque hana-mi, célébration festive de la floraison des cerisiers. Et pour les paysans, ouvrir aux promeneurs leurs vergers situés en proche périphérie de la ville était un bon moyen pour arrondir leurs revenus. Les lieux les plus célèbres étaient à l'est de la ville, au-delà de la rivière Sumida. Hiroshige, en 1856, dans une estampe de la série des Cent lieux célèbres d'Edo, a laissé une image de cette ambiance à la fois champêtre et raffinée.
Hiroshige, Umeyashiki, verger de pruniers à Kameido
Dans cette estampe, l'arbre en premier plan était particulièrement célèbre, par son grand âge et sa taille sophistiquée qui évoquait la forme d'un dragon, d'ailleurs son nom était Garyûbai, 臥竜梅, Prunier-dragon couché. Le cadrage met en valeur dans un très gros plan, le contraste entre le tronc noir, tortueux, rugueux avec les fleurs blanches, fragiles, délicates, comme une renaissance inespérée et merveilleuse. Les promeneurs à l'arrière-plan sont minuscules, de la taille des fleurs, pour nous rappeler que notre destinée en ce monde, éphémère, ne vaut guère plus que fleur de prunier.  
Jardin de pruniers du sanctuaire Katori à Kameidô... 亀戸にある香取神社の梅園

Aujourd'hui, de très nombreux jardins, devant les maisons, dans les temples ou les parcs, cultivent des pruniers ume pour la beauté précoce de leur fleurs, délicatement parfumées, qui vont du blanc le plus luminescent au rouge sombre avec tous les dégradés du rose. 
Sanctuaire Katori... 香取神社
Katori jinja à Kameido, sanctuaire shinto de quartier donc entretenu par les habitants, possède un petit jardin de pruniers qui offre l'occasion de faire une visite festive. Déjà dans ce même lieu, à l'époque d'Edo, existait un de ces fameux vergers, qui disparut en 1910, victime à la fois d'une crue de la Sumida et de l'industrialisation des quartiers populaires à l'est de la ville. L'heure n'était plus à la promenade bucolique mais au travail en usine. 
Le sanctuaire dans son quartier, au pied d'une barre de HLM
Le jardin fut reconstitué en 1954, et il jouit aujourd'hui d'une belle notoriété dans le quartier. On s'y promène, on y boit un verre de saké chaud offert, les associations locales proposent une rencontre de composition poétique, ou une autre fois une cérémonie du thé. Toute une sociabilité populaire s'y déroule et réinstalle les habitants à la fois dans leur quartier, dans le rythme des saisons et dans leur culture.
Un jeune père et son fils, et un exemple de transmission culturelle

mardi 4 février 2014

Pour bien commencer l'année... 花を植えましょう

...plantons des fleurs, comme Monsieur Saitô.

M. Saitô (son nom est écrit sur son casque) est vigile sur un important chantier en cours sur le campus de Waseda.
Sa tâche consiste à assurer la sécurité de l'interface entre le chantier et l'espace public. Concrètement, il s'agit pour lui de régler le flux des camions qui entrent et sortent débouchant à la fois sur la rue et l'entrée du campus. De façon générale, cette interface est extrêmement sécurisée au Japon par de nombreux balisages et d'aussi nombreux vigiles qui souvent ont pour principal travail de s'excuser du dérangement occasionné, même pour des travaux minimes.
Guérite de M. Saitô, avec le balai et la pelle pour ramasser la moindre aiguille de cèdre ou feuille de ginkgo, avec le bol de croquettes pour le chat du coin.
 Pour M. Saitô déjà présent sur ce site depuis bientôt deux ans et jusqu'en septembre 2014, les jours se suivent, sans doute un peu monotones, mais pénibles les jours de canicule en été, de grand froid en hiver, ou de pluie battante.
Le chat qui a adopté M. Saitô et fait la sieste sous un camélia à côté de la guérite.

Alors, afin d'agrémenter le temps passé sur place, M. Saitô fait des plantations.
Il a semé des graines de tournesols au printemps dernier pour avoir des fleurs en été, et cet hiver il a planté des oignons de tulipes pour voir fleurir l'arrivée du printemps.
M. Saitô pose avec ses tournesols en juillet
La guérite en juillet

Pour faire ses plantations, il jardine des coins de terre résiduels, au pied d'un arbre ou bien à l'entrée du chantier. Il fait ce que beaucoup d'habitants font devant leur maison s'ils n'ont pas de jardins : ils installent des pots de fleurs sur les trottoirs, et plantent aux pieds des arbres d'alignement. Certaines ruelles particulièrement plantées par les habitants deviennent de véritables allées jardinées. 
M. Saitô arrose les tulipes en janvier
Les habitants des villes japonaises pratiquent depuis toujours, sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose, ce que des activistes écolo-créatifs ont appelé guerilla gardening. Ces pratiques, à la fois actions politiques et environnementalistes, ont été mises en oeuvre et pensées d'abord à New York dans les années 70, afin de recréer des espaces communs et publics en jardinant des terrains vacants, des friches urbaines dans la ville en crise, des coins à l'abandon. La guerilla jardinière s'est ensuite disséminée à Berlin, en Hollande, en Angleterre, etc. A lire, pour connaître l'histoire de ces mouvements, et même comment entreprendre des opérations, La Guerilla jardinière par Richard Reynolds, éditions Yves Michel, 2010, un livre plein d'humour à l'anglaise.

Si l'on disait à M. Saitô qu'il agit en guerillero jardinier, il serait sans doute bien surpris. Comme quoi, dans la ville japonaise, la dichotomie public/privé qui conditionne si fortement notre espace urbain n'a pas la même prégnance ni la même signification.
Au temps linéaire de la progression du chantier, période qui s'achèvera avec la réception d'un bâtiment de 14 étages, au rythme circadien des jours qui s'enchaînent, à ces temps contraints, M. Saitô réintroduit le cycle des saisons. En ménageant un temps propre, celui du jardinage, de la croissance des plantes qu'il observe, de leur épanouissement, de leur succession, il s'offre la possibilité de donner une forme particulière à son lieu de travail, pourtant peu amène.

Guerillero M. Saitô ? Peut-être, poète assurément. 

mercredi 27 mars 2013

Juste pour le plaisir des yeux, hanami saison 2013... 目の保養のために、平成25年の桜

Quelques images des cerisiers, prises hier 25 mars, dans le quartier de Takinogawa, arrondissement de Kita-ku.
Malgré le jour gris, la lumière des fleurs, hana no hikari 花の光 illumine le paysage.





Aujourd'hui, il pleut et les fleurs vont tomber.

Fleurs de cerisier
A cette heure sont épanouies
Me dit-on certes
Mais quelle tristesse
De n'être point avec vous ! 
Poème du Manyôshû, IXe siècle


mardi 19 mars 2013

Cerisier pleureur en fleurs, début de hanami... しだれ桜の開花

Cerisier pleureur... 枝垂桜
Chaque année, en d'innombrables lieux, la floraison des cerisiers ré-enchante la ville.
Hanami, c'est fêter l'arrivée du printemps et les promesses d'un nouveau cycle annuel qui commence, c'est profiter de la beauté et de la profusion des fleurs, éphémères, c'est donc aussi rester conscient de l'impermanence de ce monde, mais c'est avant tout une occasion de se réjouir à ne pas manquer.

Entrée d'un petit temple dans le quartier de Waseda
Tous les ans, ce sont les cerisiers pleureurs qui ouvrent les festivités. Temps splendide à Tokyo depuis le début du mois de mars, ce qui a activé les bourgeons et anticipé toutes les prévisions.

Depuis hier soir, lundi 18 mars, une panne de courant, dont la raison est inconnue, a stoppé le système de refroidissement des 3 piscines contenant des barres de combustibles nucléaires usagées.
La plus chargée des piscines, celle en équilibre précaire du réacteur n°4, supporterait de n'être pas refroidie pendant 4 jours, les deux autres un peu plus longtemps semble-t-il.

Avons-nous encore besoin des cerisiers pour nous rappeler l'infinie précarité de notre monde ? 

Mise à jour le 20 mars au matin : hier soir vers minuit, le courant a été rétabli et a permis aux systèmes de refroidissement des 3 piscines de redémarrer. La coupure aura duré 29 heures.
Le chef de cabinet du Premier ministre, Suga Yoshihide, nous avait bien dit qu'"il n'y avait aucune raison de s'inquiéter."
Malgré tout,la nouvelle agence de sécurité japonaise, Nuclear Regulation Authority, créée après la catastrophe de Fukushima et qui fait plutôt bien son boulot, a vivement critiqué Tepco qui a attendu plusieurs heures avant de signaler ce problème majeur. 

Mise à jour le 20 mars au soir : c'est une "petite bête" (une souris, un mulot) qui est la cause de la panne d'électricité. La sécurité nucléaire tient à peu de chose...Des souris et des atomes.

vendredi 11 janvier 2013

Pour bien commencer l'année... 元気に新年を始めましょう

De retour d'un séjour en France, voici ce que j'ai trouvé à la maison, déposé par une main attentionnée, pour nous souhaiter un bon retour et une belle année :
Les sept herbes du printemps...春の七草
Le 7 janvier, il est de tradition de manger une soupe de riz avec des herbes hachées. Ce plat marque la fin des festivités du Nouvel An et assure une bonne santé pour l'année nouvelle.
A l'origine, cette tradition fut importée de Chine il y a fort longtemps, vers le VIIIe siècle, pour devenir un rite de cours à l'époque Heian (794-1185). De l'entourage impérial, la cueillette des sept herbes du printemps s'est diffusée parmi le peuple, et perdure jusqu'à nos jours à la campagne et même encore en ville, où l'on va glaner dans les terrains vagues, sur les talus, le long des berges.
Ces sept herbes sont de jeunes pousses sauvages que l'on ramasse, toutes ou en partie, ou bien que l'on trouve dans le commerce, qui sont à la fois décoratives et alimentaires. Pour bien débuter l'année, elles nous apportent la vitalité de leur jeune croissance, et l'espérance du printemps malgré la froidure.
江戸川特産!
Voici la liste consacrée des sept herbes du printemps :

  1. Œnanthe (seri, Oenanthe javanica)
  2. Bourse-à-pasteur (nazuna, Capsella bursa-pastoris)
  3. Gnaphalium (gogyo, Gnaphalium affine)
  4. Mouron des oiseaux (hakobera, Stellaria media)
  5. Lampsane commune (hotokenoza, Lapsana apogonoides)
  6. Navet (suzuna)
  7. Daikon, radis blanc (suzushiro, Raphanus sativus var. longipinnatus) 
A noter qu'on ne mange que les feuilles, même des radis et navet. 

A l'époque Edo (1600-1867), les courtisanes et prostituées du quartier réservé de Yoshiwara dans la cité d'Edo, étaient exceptionnellement autorisées à sortir dehors pour aller ramasser ces herbes sauvages sur les berges de la rivière Sumida. 
Mon panier ne vient pas de loin puisqu'il a été produit par un maraicher qui vit et travaille dans l'arrondissement de Edogawa-ku où j'habite. C'est une spécialité locale !

Pourquoi parle-t-on du printemps en ce début d'année bien hivernal ?
En fait, le rite des sept herbes du printemps se déroulait le septième jour du premier mois suivant le calendrier luni-solaire originaire de Chine et introduit au Japon à la fin du VIIe siècle. Ce calendrier y fut en vigueur jusqu'en 1872 (1912 en Chine) avant d'être remplacé par notre calendrier grégorien.
Dans l'ancien calendrier, l'année commence un bon mois plus tard : cette année, le Nouvel chinois sera fêté le 10 février.
Le Japon a reporté telles quelles dans le nouveau calendrier toutes les dates des fêtes et rites anciens, très liés au rythme agricole, d'où un décalage qui ne gêne personne. Cependant, la plupart des calendriers ou agendas actuels rappellent les anciennes dates.
C'est ainsi que les traditions se réinventent, se perpétuent, se superposent, toujours différentes, au grès du temps qui coule.


Je souhaite une belle année à tous les lecteurs, fidèles ou de passage, connus ou inconnus de ce blog. Merci à tous.
 











 

samedi 20 octobre 2012

Ainsi finissent les vélos à Tokyo... 東京で自転車はこう終わります

Ainsi finit, dans les belles de nuit et les plantes grasses, le vélo d'une voisine, maintenant trop âgée pour l'utiliser.

Ce n'est pas rare de faire de telle rencontre dans Tokyo, vélo pris dans les volubilis ou les herbes folles, laissé dans un coin par quelque "emprunteur" peu scrupuleux ou bien abandonné par son propriétaire.

Dans la ville où tout change si vite, tout bouge sans cesse, dès que l'on s'écarte de la ligne de flux principale, des délaissés de toutes sortes encapsulent le temps qui passe, la nature qui suit son cours.

La ville nous donne à sentir des rythmes différents, des mondes parallèles qui coexistent. Et aussi l'impermanence des choses humaines

mardi 17 juillet 2012

Un dimanche à la campagne à Yokohama ... 田園の日曜日

Dimanche 15 juillet, à l'initiative d'un ami, je suis allée à Yokohama dans l'arrondissement d'Aoba où persistent activités agricoles et paysages si caractéristiques du satoyama.
Rizières et bois... 田圃と雑木林
On nomme satoyama le territoire façonné par la polyculture vivrière et ses pratiques locales, composé d'une mosaïque de champs secs et de rizières, d'étangs-réservoirs et de cours d'eau, de rigoles et de roselières, de jardins et de vergers, d'habitations et de voies. La partie en culture et ouverte est bordée de bois qui forment une interface stabilisée par l'entretien (enfin, elle l'était) avec la forêt naturelle couvrant les hauteurs. Nature et culture, depuis toujours, se sont chevauchées et mutuellement enrichies dans le satoyama.
Bassin réservoir en amont du vallon pour l'irrigation... 灌漑のための溜池

Taro et tomates... 里芋とトマト
Autre rappel, Yokohama est une ville de 3,6 millions d'habitants qui jouxte Tokyo. Déjà en 1922, Albert Londres notait lors de sa première expérience de journaliste façon grand reporteur :
Il n'y a pas le moyen de voir le bout de Tokyo.
Une fois, je voulus en finir avec cette ville. Je pris un chauffeur :
"Avez-vous de bons pneus ? Êtes-vous célibataire ? c'est à dire un homme pouvant courir les aventures ? Oui. Alors menez-moi au bout de Tokyo. Non ! Non ! pas aux temples, ni aux jardins, ni au palais. Je ne veux voir que le bout de Tokyo. Roulez ! Je paierai en or."
Une heure trente après, ayant traversé, à une allure de circuit, quartiers sur quartiers, il freinait. "Roulez toujours !" criai-je hors de moi, la tête à la portière. Il allongea le bras. Face à nous, tout bleu, s'étendait le Pacifique. "Où suis-je ?" dis-je. Il répondit : "Yokohama ! " Tokyo n'avait pas de bout.
Tomates et haricots verts en tonnelle... トマトとインゲンのトンネル
En fait, au bout de Tokyo et de Yokohama, on trouve d'un cote le Pacifique et de l'autre, le satoyama où aujourd'hui s'installent des artistes, des galeries qui disposent de plus d'espace qu'en ville, et où viennent les citadins à la découverte de lieux originaux, de paysages champêtres et de produits locaux.
Potimarrons... かぼちゃ
Donc dimanche, dans la galerie Studio Jike, se déroulait une performance théâtrale de rakugo (un conteur, assis à genoux sur un coussin, raconte des histoires humoristiques avec comme seuls accessoires un éventail et une sorte de mouchoir en tissu) au milieu d'une exposition de photographies de Paris prises par une photographe qui utilise la technique du sténopé. 
A la fin de la séance théâtrale, nous avons partagé, acteurs, spectateurs, photographe, galeristes, un ragoût qui avait été préparé par les artistes, accompagné de légumes de saisons sortis des jardins environnants (concombres, aubergines, herbes).
Verger de kakis... 柿の木
Voilà les collages dans l'espace et le temps que crée le Japon, et qui génèrent des rencontres avec des gens très touchants, comme cette dame de quatre-vingt ans, qui habite le quartier avec son mari, claveciniste et facteur d'instruments. 
Voici le lien vers le blog de Studio Jike, en japonais mais avec beaucoup de photos
http://jikestudio.blogspot.jp/ 
Les artistes et la galerie... 画廊の前に落語家の劇団
Hotte en bambou tressé... 竹の民具






mardi 6 mars 2012

Conférence rencontre le 14 mars... 3月14日の講演会

Mercredi 14 mars, à la BULAC, bibliothèque universitaire des langues et civilisations, 65 rue des Grands Moulins, 75 013 Paris, de 18h00 à 19h30 à l'auditorium, a lieu une rencontre autour du thème :
La nature dans la ville japonaise. Carnet de voyage … 
Avec Aleksi Cavaillez, illustrateur et vidéaste, et moi-même en tant qu'architecte et chercheur à l’Université de Waseda à Tokyo.

Voici un résumé de mon intervention :

La nature à Tokyo, des lieux, des saisons et des pratiques

L’histoire urbaine japonaise nous incite à décentrer notre regard pour voir comment la conception et la perception de la nature existent ailleurs et constater que la beauté peut être autre que celles des formes canoniques de la ville occidentale.
« La nature, fondement de la conception du monde au Japon, n’est pas la nature telle quelle, nue. C’est une nature qui a été cultivée tout au long de l’histoire, depuis les temps préhistoriques. Cette conception de la nature a formé le pays entier comme produit d’une civilisation, et la ville en  a représenté l’apogée. » écrit Kawazoe Noboru, historien de la ville et de l’architecture. Il se réfère plus précisément à Edo, capitale politique à partir de 1603, dont la population a atteint un million et demi d’habitants à partir du XVIIIe siècle et qui a véritablement matérialisé une idée spécifique de la nature. L’esthétique paysagère qui s’y est construite et diffusée, est liée à de multiples pratiques sociales qui forment toute une « urbanité en actes ». Basée sur une minutieuse observation du monde matériel et sa perception sensible, l’appréciation de la nature, c'est-à-dire d’une infinité d’éléments, de phénomènes en perpétuels changements, a structuré la vie des habitants selon le rythme des saisons.
A partir de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 70, les ressources naturelles de Tokyo se sont fortement dégradées. Malgré tout, on peut toujours observer la permanence du cours de la nature dans l’espace urbain et la vie sociale. De nombreuses pratiques, collectives ou individuelles, continuent de se dérouler suivant un calendrier d’événements saisonniers bien connus de tous, et ces conduites ne se réduisent pas à de simples habitudes ou à un folklore. Elles se réfèrent à des symboles, des valeurs, esthétiques notamment, et les transmettent. A travers ces pratiques rituelles, les citadins partagent et conservent une forte intimité avec de nombreux phénomènes naturels même dans une vaste région urbanisée comme celle de Tokyo. Dans la ville actuelle, la reconquête de la qualité de l’environnement et des paysages engagés par de multiples mouvements d’habitants est aussi une forme de réappropriation de l’espace public.
Dans un contexte de ville diffuse, étalée, qui se généralise, le cas de la ville japonaise peut être considéré comme une ouverture pour penser différemment le beau et le bien-être dans la ville.


dimanche 1 janvier 2012

Meilleurs voeux pour 2012... 新年あけましておめでとうございます


Que mille fleurs puissent refleurir sur les dépouilles de notre illusoire monde productiviste !

Trouvaille faite en décembre à Tokyo, Edogawa-ku, Hirai où j'habite... 東京都江戸川区の平井に住んでいる町で12月にした掘り出し物

A la boutique foraine
trois sous de brouillard
c'est tout ce que j'ai vu
dans leur télescope
Kobayashi Issa (1763-1827) 

Le drame du monde moderne, c'est que l'indispensable n'est pas garanti et le superflu n'a pas de limite.  

Pierre Rabhi (né en 1938) 

mercredi 30 novembre 2011

Fin novembre au parc Hibiya... 日比谷公園への11月の終わり

Voici pour finir le mois de novembre quelques photos prises vendredi dernier, le 25 novembre, toujours au parc Hibiya.
Un jour de semaine, les activités et les promeneurs y sont différents.

サラリーマンの昼の休憩
Les employés, appelés salary-man, nombreux dans ce quartier d'affaires et de ministères, viennent déjeuner et profiter du soleil.
On mange le fameux bentô, boîte repas, préparé à la maison c'est très tendance, ou bien acheté sur place. Ombre ou soleil tous les bancs sont occupés.
Les jardiniers ont mis en place sous les pins dans l'étang un dispositif en bambous pour récupérer plus facilement les rameaux taillés et les aiguilles épilées.

五百年の首かけイチョウ
Tout le monde admire en passant le ginko biloba vieux de cinq cents ans, certains lisent son histoire, d'autres le photographient avec leur téléphone portable. Cet arbre était condamné à être abattu au moment de la création du parc, vers 1898, car il se trouvait au milieu d'un carrefour dans ce quartier alors en pleine transformation. Le responsable de la conception du parc, Honda Seiroku, forestier et introducteur au Japon de la sylviculture moderne qu'il était allé étudier en Allemagne, fit le pari de réussir sa transplantation. Il l'organisa lui-même car personne ne la croyait possible et mit un point d'honneur à mettre son poste en jeu : si l'arbre n'y survivait pas, il démissionnerait. L'arbre est toujours là, bien vivant, et il a gagné le surnom de "Ginko-ma-tête-sur-le-billot". En japonais , on dit "se faire couper le cou" lorqu'on perd son job.








"Oasis dans la ville", ainsi est aujourd'hui qualifié Hibiya, or pendant longtemps ce n'est pas la nature que les Tokyoites venaient y chercher mais "le parfum de la ville". En effet, vers 1900 à son ouverture on venait dans ce parc pour y boire du café assis à une terrasse "comme en France", manger au restaurant assis sur une chaise avec une fourchette et un couteau (un des restaurants s'appelle d'ailleurs Bois de Boulogne), se promener à la lumière des tout premiers éclairages électriques installés au Japon, écouter de la musique occidentale -ou militaire- autour du kiosque à musique, voir des parterres de tulipes tout à fait exotiques, bref on venait prendre un véritable bain culturel.