Vol Air France, quelque part dans le ciel entre Paris et Tokyo dans la nuit de samedi à dimanche. Une hôtesse japonaise prend le micro : "J'ai une très bonne nouvelle à annoncer, Tokyo vient d'être choisi pour organiser les Jeux Olympiques de 2020." Dans l'avion, quelques applaudissements et expressions de joie, enthousiasme modéré (la population de Tokyo était la moins motivée pour soutenir l'organisation des JO, à peine 60% contre l'immense majorité des Stambouliotes ou des Madrilènes). L'annonce faite en japonais n'est traduite ni en français, ni en anglais, comme quoi, les valeurs soit-disant universalistes de l'olympisme flattent avant tout (seulement ?) la ferveur nationale.
A Tokyo, dimanche 8 septembre, tous les médias, télévisions, journaux, panneaux d'affichages, enchaînent éditions et programmes spéciaux, on frise la saturation.
Pour soutenir le gouverneur de Tokyo, le premier ministre Abe Shinzô avait fait le déplacement à Buenos Aires. Dans son discours devant le jury, il n'avait pas prévu de parler de Fukushima mais la délégation sur place lui fit comprendre que, plutôt d'attendre les inévitables questions à ce sujet, il valait mieux prendre les devants. Même si les membres du comité olympique, pour diverses raisons, avaient déjà fait leur choix (stratégies européennes pour 2024, inquiétudes sur la situation sociale et économique en Turquie, garantie et sécurité assurées en choisissant le Japon -le nucléaire fait moins peur que l'islam -), personne ne pouvait complètement éluder la question de Fukushima après le feuilleton des fuites d'eau radioactives pendant tout l'été.
Dans un anglais laborieux, Abe assura donc à certains qui s'inquiétaient à propos de la centrale de Fukushima, que la situation était sous contrôle. Que l'eau contaminée ne sortait pas des limites du port de la centrale, et que surtout Tokyo n'était en rien concerné par ce qui se passait là-bas. Il conclut en disant que, sous le ciel bleu de la ville de Fukushima, les enfant jouaient au ballon et que la désignation de Tokyo serait une grande joie pour eux, un réconfort pour tous les habitants de la région touchée par le séisme et le tsunami de mars 2011.
Le site de la ville de Fukushima, entre rivière et montagnes. La rivière Abukuma accueille en hiver de nombreux cygnes et canards qui descendent de Sibérie... 福島市に於ける阿武隈川
Images Sb prises le 11 mars 2013
Les habitants de la région concernée en premier lieu, mais aussi beaucoup de personnes à Tokyo, ont été consternés par de tels propos mensongers. Les pêcheurs du département de Fukushima, interdits d'activité à cause de la contamination des eaux du littoral, ont fait savoir leur colère. C'est leur situation qui est niée ! Lundi 9 septembre, lors de la conférence de presse hebdomadaire sur la situation à la centrale de Fukushima, les journalistes ont demandé aux responsables de Tepco en face d'eux s'ils pouvaient confirmer les propos du premier ministre. Gros embarras. Le gouverneur de la préfecture de Fukushima a fait connaître aussi sa stupeur et a annoncé qu'il interprétait les propos de Abe comme un engagement du gouvernement et de l'Etat à prendre la responsabilité totale du chantier, décrit comme "un hôpital sur un champ de bataille" par un dirigeant de Tepco.
Sous le ciel bleu de Fukushima, toutes les écoles, les crèches, les jardins publics sont équipés d'appareils qui mesurent la radioactivité
Photos Sb prises le 11 mars 2013
Pendant ce temps, les eaux souterraines qui descendent des montagnes vers la mer, continuent à se charger de cesium et de tritium en passant sous la centrale. Les divers moyens mis en oeuvre pour essayer de bloquer ces flux ont tous échoué, d'autres vont être tentés comme congeler les sols pour former une barrière, après l'échec du mur de béton ou de l'injection de gélifiants. Au coup par coup il faut inventer des réponses à des problèmes inconnus et mal cernés, aucune solution globale n'est disponible. Les centaines de réservoirs d'eau encore plus contaminée (fuyant aussi) qui occupent aujourd'hui la majeure partie du site et des ouvriers, représentent d'après un spécialiste un danger potentiellement plus préoccupant que les eaux souterraines. Et vendredi 13 septembre, de la vapeur blanche dont la cause reste inexpliquée a été à nouveau observée.
Des réservoirs qui s'étendent à perte de vue... 汚染水を移送するための 緊急時用タンク
Photos du site de Fukushima publiées par le Japan Daily Press
Bref, ça fuit, ça fume, ça coule, tous les projecteurs sont braqués sur Fukushima, peut-être pendant peu de temps, mais la dimension des problèmes apparaît très crûment depuis la désignation de Tokyo par le CIO. L'attitude offusquée des autorités devant les dessins du Canard Enchaîné (qui ont fait la une des journaux japonais) montre que la situation est peut-être sous contrôle mais qu'il suffit de peu pour faire déraper cette belle assurance.
Dessin du Canard Enchaîné paru le 11 septembre
Fuku-chan, mascotte proposé par un Américain.Le mauvais esprit est bien partagé... アメリカ人が提案したフクちゃんというロゴとキャラクター
Ma
vive réaction à la visite de l'usine de combustible nucléaire
Mitsubishi-Areva à Tokai-mura* par les classes de secondes du lycée
franco-japonais de Tokyo le 17 janvier dernier, a été perçue par certaines personnes comme
"violente". Je tiens à dire que je ne doute pas un instant de la bonne
volonté de tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette sortie.
Et que je ne cherche ni polémique inutile, ni buzz à la petite semaine, mais
"le contraire de faire une histoire". Cependant, pour revenir sur un
commentaire critique, je ne pense pas qu'on puisse faire l'impasse sur
la nature de la production d'une usine visitée par une classe parce que
le but donné ne serait que découvrir des entreprises et des métiers. Ce serait se priver d'une occasion de réfléchir.
Neige à Tokyo le 18 janvier... 1月18日東京にある
Apprendre
après coup le contenu de cette visite dont l'objectif annoncé
était donc de "découvrir les métiers scientifiques
et technologiques liés à l'énergie" et des "possibilités de
carrières internationales", et surtout constater l'absence de mise en
perspective par rapport à la situation du Japon, où nous vivons et qui
doit faire face à un accident nucléaire majeur depuis le 11 mars, à 270km de Tokyo, cela
aussi a été violent. Et vraiment incompréhensible. Pas seulement pour moi
puisque l'association de parents d'élèves AF-fcpe a également réagi.
Cette
impression de déni de la réalité**serait en fait dû à un "problème de
communication". Chose mieux précisée après coup encore, cette visite s'inscrit
dans un projet "Eco-école", sur le thème de l'énergie cette année, et
dans ce cadre, divers modes de production d'énergie devraient être
présentés, le solaire devant succéder au nucléaire. Ainsi, tandis que
l'école affirme son souci de ne s'interdire aucune thématique et de
rester neutre, chacun pourra en connaissance de cause exercer son esprit
critique.
Cerisiers sous la neige. A Fukushima, la radioactivité est surnommée neige invisible... 雪の桜。福島では放射能は目に見えない雪だと言われています
Ne
s'interdire aucun sujet, c'est très bien mais la neutralité, cela
signifie-t-il présenter l'un après l'autre, sur le même plan, divers
modes de production d'énergie, le nucléaire, puis le solaire, et ensuite
les "bio-carburants" ? Nous sommes nombreux à penser qu'aujourd'hui un
tel inventaire est tout sauf neutre. Parce que dans le cas des
installations nucléaires, malheureusement, les conséquences d'un
accident se font ressentir à des échelles de temps et d'espace que nous
ne maîtrisons pas, voire incommensurables. Ici au Japon, dans un pays
directement concerné, où la sismicité aiguë augmente fortement les
risques, nous sommes bien placés pour le voir.
Aller
visiter des installations nucléaires, nous ne sommes pas
contre, mais il nous semble qu'on ne peut s'épargner ni la prise en
compte des données contextuelles (c'est vraiment un minimum), ni même une réflexion de fond (qui ne
veut pas dire une pensée unanimiste), par exemple autour des fameux
trois E (economy, environmental conservation, energy independance).
Ceci
en guise d'épilogue sur un sujet important et
sensible. Je me réserve le droit de supprimer les
commentaires insultants ou déplacés.
* La
destination annoncée aux élèves était Tsukuba qui évoque pour ceux qui
résident au Japon une université et une technopole. Le nom de Tokai-mura
suscite d'autres évocations puisque cet endroit "is specifically well know as the birthplace of atomic power in Japan", dixit la brochure
ramenée. En effet, la première centrale nucléaire japonaise y a été mise
en activité en 1963. Puis autour de celle-ci, se sont concentrés
centres de recherche et industries liés à l'énergie atomique, tels
plusieurs sites de fabrication de combustible. Pour ceux qui sont
depuis plusieurs années au Japon, Tokai-mura évoque surtout le lieu où
se produisit un sérieux accident de criticité dans une de ces usines,
JCO, en septembre 1999, qui fit deux morts et plusieurs centaines de
personnes irradiées.
** D'autant
plus curieux que l'usine en question se trouve dans la préfecture de
Ibaraki qui jouxte celle de Fukushima. Un père japonais m'a fait
ironiquement remarquer qu'en mars dernier, le gouvernement français envoyait un
avion
pour rapatrier ses ressortissants et qu'en janvier, on emmenait les
élèves
visiter des installations nucléaires à Tokai-mura à deux pas de
Fukushima.
Nous avions passo-con, パソコン abréviationen japanglaisde personal computer, suivi de mini-con, ミニコン et fami-con, ファミコン pour mini computer et family computer, contenant sans doute des semi-con, セミコン, semi conductors ; nous avions air-con, エアコン pour air conditionner ; zene-con, ゼネコン pour general contractor c'est à dire entreprise de construction générale ; nous avions bodi-con,ボディコン pour body conscious qui qualifie les jeunes femmes vêtues très court et très moulant, apparues dans les euphoriques années 80 de la bulle économique. Et aussi loli-con, ロリコン, pour lolita complex et maza-con, マザコン pour mother complex, designant ceux qui aiment trop les très jeunes filles ou leur maman.
Bodi-con ou loli-con ?... ロリコンかボディコンでしょうか?
Nous pouvons ajouter à notre collection des abréviations à succès en "con" un nouveau venu qui s'est désormais imposé, et pour longtemps, dans notre paysage lexical et notre environnement quotidien : decon, デコン pour decontamination.
Et voici "la technologie la plus avancée", dixit Hosono Goshi, ministre de l'environnement et de la crise nucléaire des deux derniers gouvernements, en tout cas la plus pratiquée en matière de décontamination au Japon depuis l'accident nucléaire de Fukushima :
Video diffusée par la NHK, télévision nationale, le 23 novembre 2011. Cette méthode présentée aux médias va être appliquée dans 600 vergers de la préfecture de Fukushima, soit 2 200 hectares. Comme on peut le voir, l'eau récupérée dans la bâche se déverse aux pieds des arbres. Bien souvent, il n'y a pas de bâche.
En ville, à Fukushima mais aussi dans les hot spots découverts à un rythme régulier à Tokyo et dans son agglomération (des points bas, caniveaux bouchés ou
dalles, où des eaux de ruissellement stagnantes avec des saletés se sont
accumulées concentrant des particules radioactives), c'est la même "technologie" qui est mise en œuvre. Ville et campagne, c'est donc une technique extrêmement adaptative et flexible, que n'importe qui peut utiliser (c'est à dire sans protection ni formation bien souvent).
Bienvenue chez Kärsher, leader des solutions de nettoyage (c'est leur slogan, regarder le siteà la lumière des événements ici, c'est involontairement assez drôle). On pourrait leur proposer : Des banlieues parisiennes à Fukushima, un coup de Kärsher et hop, ça repart.
Comme conclut un pêcheur de Fukushima, entre colère et tristesse : "En voilà une bonne idée, la "décontamination". Mais où est-ce qu'elles vont les matières radioactives une fois qu'elles sont "décontaminées" ? Dans les rivières, et à la fin, à la mer."
Qu'en pensent-ils ?... どう思いますか
Musée d'Art occidental... 西洋美術館
Si malgré sa grande polyvalence le Kärsher n'est pas utilisable, l'autre méthode utilisée (je ne sais comment la qualifie le ministre de l'environnement et de la crise nucléaire) est le grattage. Celui-ci consiste à retirer une couche superficielle de sol, terre, sable ou gazon selon l'endroit. Les lieux fréquentés par les enfants ont été traités assez systématiquement de cette façon, jusqu'à certains endroits à Tokyo : bacs à sable, cours des crèches et écoles, certains jardins publics. Au début, les matériaux décroutés restaient souvent sur place, recouverts d'une simple bâche en plastique. Mais où les mettre ? Qu'en faire ?
Jusqu'à présent, ces opérations de
"décontamination", lavage ou grattage, sont souvent effectuées par des équipes
de bénévoles (dans les premiers temps même les enfants participaient !) mais un marché se met en place depuis la
loi-cadre instaurée en août. Les entreprises de nettoyage sont en train
de développer le business de la decon, potentiellement lucratif puisque évalué à un billion de yens, c'est-à-dire 1 000 000 000 000 Yens (10 milliards d'euros environ), proportionnel aux volumes, énormes, à traiter.
Dans la préfecture de Fukushima, les quantités de sols où le niveau de radioactivité est supérieur à 5 000 Bequerel/kg, classés à retirer, sont estimées à 3 millions de tonnes. Le volume des sols et de végétation fortement radioactifs de la préfecture de Fukushima avec les quatre préfectures voisines, est évalué à 29 millions de mètres cubes.
Et il faut ajouter tous les gravats et débris causés par le tsunami et également radioactifs !
Où et comment stocker tout ça ? (A suivre)
Illuminations de Noël à Omotesandô... 表参道のクリスマスのイルミネーション
Samedi dernier, je me suis rendue au parc Hibiya, situé en plein centre de Tokyo près du Palais Impérial, pour assister à une conférence du Shimin-kareji, Collège des citadins. Hibiya est le premier parc public conçu comme tel sur le modèle occidental au Japon et son éclectisme syncrétique raconte la mise en œuvre de la modernité, formes et idées, comme un bricolage qui a fait naître un modèle nouveau.
Parc Hibiya, pelouse et parterres... 日比谷公園の花壇と芝生
Le jardin japonais... 日比谷公園の日本庭園
Le Shimin-college, appelons-le ainsi, est un centre culturel régi par la fondation publique qui gère les espaces verts de Tokyo. Il organise des expositions, des cycles de conférences sur des aspects historiques ou environnementaux et diverses formations en rapport avec les parcs, les jardins, la nature en ville : activités pratiques, naturalistes, artistiques, éducatives ou ludiques pour les enfants, formation des guides bénévoles, formation continue des jardiniers professionnels, etc.
Après la conférence, je descends à la bibliothèque spécialisée sur ces mêmes thémes, et à l'entrée, présenté en évidence, je tombe sur ce livre très grand format bien ouvert.
市民カレッジの資料館にあるジャン・アンリ・ファーブルの本
Il s'agit de la traduction d'un ouvrage publié en 1991,Les champignons de Jean-Henri Fabre. L'édition japonaise, en 1992, reprend et annote les amples textes introductifs qui présentent l’œuvre de J.H. Fabre (prononcé Fabulu en japonais) et surtout reproduit à l'échelle d'origine 221 aquarelles que le naturaliste réalisa pendant les sept années de sa vie qu'il consacra à l'étude des champignons. La bibliothécaire m'explique que ce livre est mis en évidence parce qu'il y a beaucoup de champignons dans le parc en ce moment et que les aquarelles sont très belles.
Des associations font même des "sorties champignons", botaniques et gustatives, dans les parcs publics de Tokyo, dont Hibiya. Il existe des peuples, des cultures "mycophages", qui savourent les champignons, et d'autres qui les excluent de leur régime alimentaire, le Japon fait partie résolument des premiers, comme les pays latins d'Europe. Malheureusement, cette année, et bien d'autres ensuite, les cesium 131 et 137 retombés de Fukushima nous privent de ces plaisirs.
Récolte des fruits du ginko biloba, l'amande à l'intérieur du noyau est très appréciée... 銀杏拾いする
Lorsque je suis arrivée au Japon, en comprenant que j'étais française, on me citait, à ma grande surprise, Jean-Henri Fabre (1823-1915) comme le compatriote le plus connu ici. J'étais d'autant plus surprise qu'à l'époque, ça ne me disait rien alors que j'avais passé mon enfance à 25 km de son Harmas de Sérignan, mais aucune sortie scolaire ni familiale ne m'avait amenée jusque là-bas.
Je ne suis pas la seule, si j'en crois ce texte puisé dans les Chroniques japonaises d'un certain "Fabrice au Japon" :
"C’est en lisant un recueil de récits de Yoko Ogawa, La bénédiction inattendue (paru en 2007),
que je suis tombé une fois de plus sur une référence à Jean-Henri
Fabre. Je dis une fois de plus car je n’ai jamais autant entendu parler
de lui que depuis que je suis au Japon ! Ainsi ai-je rencontré plusieurs
fois des Japonais qui m’ont parlé de lui avec respect et admiration, et
qui connaissaient sa vie et ses Souvenirs entomologiques sans
doute bien mieux que moi, qui suis pourtant originaire du Vaucluse, le
département où ce naturaliste a passé une grande partie de sa vie."
Artistes et critique... 芸術家と批評家
Je suis allée à l'Harmas pour la
première fois en 1991 accompagnant un couple de Japonais assez âgé qui se
faisait une immense joie de découvrir la demeure de Fabre. Devant l'état
d'abandon du jardin et le peu de cas fait de quelques documents laissés à
disposition, ils n'ont rien dit mais leur silence montrait que cette visite leur laissait une
bien étrange impression et beaucoup d'incompréhension. Le gardien pourtant nous avait expliqué que peu de Français avaient entendu parler de J.H. Fabre alors que tous les Japonais le connaissaient.
Chasseur de martin-pêcheur... 川蝉の写真家
Les Souvenirs entomologiques de Fabre bénéficient au Japon de quatre traductions, la dernière en date publiée de 2005 à 2009 à l'occasion du centenaire de cette œuvre. La première traduction, toujours éditée, fut publiée en 1922 et établie par Osugi Sakae (1885-1923), penseur politique porté d'abord vers le christianisme et le socialisme, activiste social, syndicaliste et anarchiste radical, défenseur de l’espéranto et de l'amour libre, arrêté lors d'un discours à Saint Denis en 1922, et assassiné par la police politique japonaise en 1923 lors de la confusion qui suivit le grand séisme du Kantô. Fabre a donc été lu et reconnu par la pensée la plus avant-gardiste du début du XXème au Japon.
Dans le même coin du parc... 公園の同じ所
A la suite de cette première traduction, les textes de Fabre ont été introduits dans les programmes scolaires japonais, primaire et collège. Ils sont toujours lus en classe car ils allient valeur littéraire, intérêt scientifique ainsi qu'une approche de la nature que reconnaît la sensibilité japonaise. En France, c'est justement cette forme littéraire qui a tant nui, et nuit encore, entre autres, à la reconnaissance de Fabre. Le débat y est toujours vif à son sujet, sur sa légitimité même, car il n'adhèra pas à la théorie de l'évolution, alors que pourtant son travail et son apport sont maintenant clairement situés dans leur perspective historique. Témoigne de ces débats, la discussionqui s'anime à propos de l'article rédigé dans Wikipedia, critiqué véhémentement comme trop élogieux par certains.
En fait, on en veut à Fabre en France parce qu'il n'est pas Darwin et qu'on s'est fait voler la vedette par un perfide Anglais.
Au Japon, le fond culturel animiste qui perdure dans les rituels sacrés toujours vivants du shintoisme et la culture scientifique occidentale s'accommodent fort bien l'un de l'autre. Les textes de Fabre ne sont donc pas déconsidérés parce qu'ils seraient impurs scientifiquement, trop emprunts de poésie et d'une certaine spiritualité. Au contraire, on y est touché par sa vision du monde.
Exposition de chrysanthèmes... 菊の展覧会
De nombreux insectes font partie au Japon de ces éléments signes de saison, saisis par une expression sensible au moment précis de leur apparition éphémère. Ils révèlent, autant que les fleurs, cette émouvante fragilité du monde à laquelle chaque être vivant participe : les lucioles, les libellules, les cigales, les scarabées rhinocéros et les lucanes cerf-volants, les grillons et tous les insectes stridulants de l'automne, les araignées, ... Même le moustique trouve sa place en poésie, faisant ressortir notre grand dénuement et notre vulnérabilité. Les grands magasins, style galerie
Lafayette, ont en été un rayon "insectes" avec tout le matériel
nécessaire à la chasse, filets, boîtes, qui vendent aussi des bestioles pour les enfants qui rentrent bredouilles ou sont flemmards. A l'automne, dans les ruelles de Tokyo, on rencontre souvent de grandes mantes religieuses, vertes ou brunes. Il y a quelques jours, une mère s'arrête avec sa poussette à un feu, l'enfant d'environ deux ans se penche pour observer une mante religieuse qui l'intrigue. Le feu passé au vert, sa mère repart et lui aussitôt se met à brailler : "kamakiri, kamakiri, la mante je veux la prendre !" A à peine deux ans, en plein Tokyo, il sait déjà reconnaître et nommer cet animal.
On peut se marier aussi à Hibiya, sous le ginko vieux de 500 ans...日比谷公園に行う結婚式
Au jardin d'enfants puis à l'école primaire, les enfants apprennent à reconnaître et attraper, sans les blesser ni se faire blesser éventuellement, nombre d'insectes ou de bestioles, même les larves de libellules avant de vider et nettoyer la piscine au printemps (chaque école primaire publique est dotée d'un bassin de plein air). On joue spontanément avec les cloportes trouvés sous les pierres et qui se mettent en boule dès qu'on les touche. On les appelle d'ailleurs dango-mushi, bestiole-boulette de riz, par analogie avec la forme ronde. Les dango, faits de riz gluant sucré, sont des douceurs très appréciées des enfants, donc rien de répugnant dans ce nom, au contraire.
Voici la définition du cloporte que donne le Robert :
cloporte , ,
origine
inconnue
Petit animal arthropode (isopodes) qui vit près
des habitations sous les pierres, dans les lieux humides et
sombres.« fourmillant de cloportes et
d'insectes dégoûtants » ().
Vivre comme un cloporte, confiné chez
soi.
Individu répugnant,
servile.
Les petites bêtes restent des créatures du diable chez M. Robert, dans notre langue et notre imaginaire.
J'ai étudié le guide de l'enseignant associé à un manuel scolaire pour une matière enseignée les deux premières années de l'école primaire (6 et 7 ans), initiation à la fois aux sciences naturelles et à la vie en société (cette association est d'ailleurs parlante). L'approche est basée sur l'observation concrète, le contact direct avec ce qui se trouve autour de soi (repérer, faire pousser, attraper, élever, transformer -les végétaux-, dessiner, décrire, raconter, imiter). Beaucoup d'exemples d'activités prennent comme sujet des insectes, autant voir même plus que les plantes, notamment pour transmettre des notions comme la valeur de tout le vivant ou la transformation des cycles naturels. On initie les enfants à une véritable "observation participative" en leur demandant de se mettre à la place de l'insecte dans son milieu (éventuellement reconstitué dans un petit vivarium) pour imaginer ses réactions, déduire ses comportements, ce qui amène à une forme d'empathie. Exactement la méthode de Fabre qui refusait :
"la superficielle
méthode généralement adoptée. On prend
un insecte, on le transperce d'une longue épingle, on le fixe
dans la boîte à fond de liège, on lui met sous
les pattes une étiquette avec un nom latin et tout est dit
sur son compte. Cette manière de comprendre l'histoire entomologique
ne me suffit pas. Vainement on me dira que telle espèce a autant
d'articles aux antennes, tant de nervures aux ailes, tant de poils
en une région du ventre ou du thorax; je ne connaîtrai
réellement la bête que lorsque je saurai sa manière
de vivre, ses instincts, ses mœurs." (Souvenirs entomologiques T. I, chap.
IX, p. 136-137)
Pourquoi cette focalisation à l'école au Japon sur les insectes ? Parce qu'ils peuvent être élevés facilement, réagissent plus vite que les plantes, se métamorphosent encore plus radicalement, réalisant ces passages énigmatiques entre des mondes parallèles qui font partie de la conscience japonaise, parce qu'ainsi ils révèlent si bien le mystère de la vie, l'inconnu à nos pieds, parce que
C'est si naturel, ce me semble, si à la portée de chacun,
si entraînant que de s'intéresser à tout ce qui
grouille autour de nous !" Souvenirs entomologiques(T. VI, chap. III, p. 35).
Toutes les photos ont été prises le même jour, le 12 novembre 2011, au parc Hibiya où l'on fait encore bien d'autres choses...
Voici le document que j'ai trouvé dans le bloc-note que nous faisons circuler de maison en maison dans le proche voisinage pour diffuser des informations données par l'arrondissement.
回覧板から
"Demain peut-être un grand séisme !
Votre maison est-elle sûre ?
ANTISISMIQUE
Les maisons construites en bois avant Shôwa 56 (1981) selon les anciennes normes parasismiques, risquent à 95% de s'effondrerlors d'un tremblement de terre de degré VI fort (sur l'échelle japonaise)."
Au recto du document, il est dit que la probabilité à Tokyo d'un séisme de magnitude supérieur à 7 est de 70% dans les 30 années à venir.
Ces données ne sont pas un scoop ici, personne ne tombe à la renverse en les lisant. Face à une telle probabilité, il vaut mieux se préparer, et l'arrondissement de Edogawa propose des aides sur lesquelles il informe : visite et expertise gratuites des maisons ou immeubles d'habitation par un spécialiste, financements si des travaux sont nécessaires. L'arrondissement prend en charge le coût des études techniques avant travaux.
A Tokyo, la durée de vie moyenne d'une maison individuelle est de 26 ou 27 ans, même si elle va en augmentant légèrement. Une maison de 20 ans est une très vieille maison qui n'a plus aucune valeur. Seul le terrain conserve la sienne, il en est de même pour les appartements en copropriété, d'où le désir bien compréhensible de posséder un terrain à soi, avec une petite maison que l'on fait rebâtir régulièrement.
Pendant longtemps, je trouvais ce cycle de démolition-reconstruction assez artificiel, encore une forme d'obsolescence programmée. En fait, les maisons souffrent réellement des multiples secousses sismiques, dont certaines, sans être visiblement destructrices, sont violentes. A la longue, les structures puis le reste fatiguent. De plus, comme ce document le suggère, les normes évoluent, sont mises à jour à chaque catastrophe qui ajoute de nouveaux cas de figure, en matière de construction et d'infrastructures comme d'organisation sociale. L'expérience est prise en compte, par exemple dans la prévention des incendies qui pendant longtemps ont été le fléau majeur causé par les séismes. En 1923, Tokyo a été pour plus de la moitié détruite par les flammes, et encore en 1995 à Kôbe, les incendies ont ravagé les anciens quartiers de vieilles maisons en bois vulnérables, mais n'ont pas ou peu touché les quartiers plus récents.
L'année 1981, citée dans le document, est celle d'un violent séisme à Niigata sur la côte de la mer du Japon. Après 1995, nouvelle révision à la suite du séisme de Kôbe, notamment dans les plans de circulation. Et dans la foulée, la loi a élargi les prérogatives des NPO (non profit organization) à celle de personne morale, donnant la possibilité aux associations, nombreuses sur le terrain ce qui reflète le renouveau de l'engagement de la société civile, d'être maître d’œuvre de projets (loi sur l'urbanisme participatif de 1998). Après 1923 et le terrifiant séisme du Kantô, le rôle de lieux de refuge a été assigné aux écoles publiques, une fonction importante qu'elles conservent. A cette fin, chacune est dotée d'un grand gymnase, d'une vaste cour, et si possible d'un petit jardin public adjacent. L'école reste donc ouverte et accessible en permanence, d'où son intégration très forte dans le quartier. Le gymnase, la cour, sont utilisés le soir, le week-end, pendant les vacances par les enfants, des clubs, des activités diverses. Ce sont des équipements utilisés à plein. De strictes contingences, naissent des ressources et des intrications fertiles entre le spatial et le social. En ce moment, ce sont les villes littorales qui revoient leur plan d'évacuation en cas de tsunami, comme par exemple Kamakura, ville patrimoniale près de Tokyo, qui a entrepris des recherches historiques pour retrouver les traces, dans les archives et dans les sols, des plus anciens raz de marée et a déjà redessiné de nouvelles limites sécurisées qui prennent en compte ces mémoires enfouies.
Les villes s'agrandissent, se densifient, se complexifient. Ce sont de nouveaux problèmes qui surgissent, des solutions qui inlassablement doivent être recherchées, comme par exemple au problème de la liquéfaction des sols sur les comblements artificiels en bord de mer, sous l'effet des vibrations sismiques.
Rideau de volubilis, en septembre dans mon quartier...江戸川区に、9月の 朝顔のカーテン
Déjà en 1212, Kamo no Chômei, moine et poète, écrivait dans un texte magistral,
Notes de ma cabane de dix pieds :
« Les
maisons et leurs habitants sont semblables par l’impermanence, tout disparaît
et fait penser à la rosée sur le volubilis du
matin. Tantôt la goutte de rosée tombe et la fleur demeure ; la fleur demeure
sans doute, mais bientôt se fane aux rayons du soleil levant. Tantôt la fleur
se flétrit, tandis que la rosée reste mais elle ne dure
jamais jusqu’au soir. »
La pérennité de l'architecture n'est pas un concept qui va de soi au
Japon. Au contraire, le sens de l'impermanence est profondément
ancré dans la culture japonaise. Rien de doloriste dans cette conscience qui aiguise la sensibilité aux détails et l'appréciation des plus infimes expressions de la vie au fil du temps, des saisons.
Le kinmokusei de mon jardin... 家の庭の金木犀
En ce moment, c'est le kinmokusei (金木犀、Osmanthus fragrans)
qui est en pleine floraison, arbre couvert de petites fleurs orangées
et odoriférantes. Une des rares plantes parfumées de l'abondante flore
japonaise.