« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

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dimanche 5 avril 2015

Terres et vies, la quête de Kurita Kôichi... 色々な土、色々な命、栗田宏一の探究

Intuitivement, Kurita Kôichi a pensé pouvoir découvrir la diversité du monde en voyageant le plus léger possible, afin de mieux percevoir les liens avec chaque milieu.
A l'âge de 13 ans, il va de Tokyo à Kagoshima à l'extrême sud du Japon par un train omnibus en plus de 50 heures.
A l'âge de 24 ans, avec sa compagne il part en Inde et va jusqu'en Grèce en un voyage de 500 jours, où dit-il, tout est toujours différent, intéressant, à chaque moment, un jour comme un an. 
Lors de ce périple, il commence à ramasser des pincées de terre qu'il colle sur des cartes postales envoyées à ses amis. 
A son retour, il se rend compte que le Japon est tout aussi intéressant, même juste autour de chez lui, et que se trouvent partout les mêmes questions et points communs. 

La terre, dit-il, pendant longtemps il ne la voyait pas, car en général nous n'avons pas conscience de sa valeur, mais à force de contacts sensoriels, visuels, tactiles, ... en la parcourant, la terre lui a appris qu'il faisait partie du monde et de la nature.
Une pincée de terre, dit-il, c'est un fragment de notre planète, constitué de minéraux, d'organismes végétaux et animaux qui sous l'action du vent, de la pluie, pendant des siècles, se sont transformés. Les couleurs, les textures changent en fonction des éléments fondamentaux de l'univers. Un peu de terre contient donc une totalité de la matière et des temps. Prendre une poignée de terre c'est saisir en sa main le cosmos.
Kurita parle d'une révélation et d'un émerveillement, suivi d'un désir de transmettre la diversité du monde à travers la beauté et la valeur de la terre.
Son moyen ? Présenter les terres telles quelles, les montrer de façon directe et simple, suivant sa propre expérience. 
Installation à l'abbaye de Maubuisson
A partir des années 1990, comme une mission, Kurita entreprend de collectionner des terres de tout le Japon. Pour nous révéler et transmettre leur beauté, et si possible du plaisir, il crée la Bibliothèque des terresIl fait sa première collecte dans son jardin à Yamanashi et ensuite il parcourt 3218 des 3233 communes du Japon où il a ramassé 35 000 échantillons.
Kurita établit des règles de collecte, toujours les mêmes, afin de déranger le moins possible le milieu. Il repère d'abord les lieux de ramassage avec les toponymes inscrits sur une carte puis ensuite notés sur le sachet avec la date. Il ramasse toujours la même petite quantité prise en surface, au bord des champs, des chemins ou des ruisseaux car c'est la terre des lieux habités par les humains que Kurita collecte. 
Collection de terres, catalogue
Après l'accident nucléaire de Fukushima, Kurita a vu avec consternation la mise en oeuvre d'une mesure de "décontamination" qui consiste à gratter la surface des sols radioactifs pour racler une dizaine de centimètres de terre condamnée. Toute cette terre mise dans des sacs, des dizaines de milliers de sacs, doit être jetée car "elle est devenue mauvaise", mais pour Kurita cette situation absurde qui consiste à retirer la terre, donc la vie, du sol révèle que c'est bien l'humain et non la terre qui est mauvais.

Depuis 2004, Kurita est invité régulièrement en France où il fait aussi des collectes autour de ses lieux de résidences, région Poitou-Charente et région parisienne.
L'été 2014, il a réalisé quatre installations dans les vestiges de l'abbaye de Maubuisson, près de Pontoise, intitulées "mille terres mille vies".

Dans la salle du Parloir, il a posé au ras du sol en un cercle chromatique 108 coupelles contenant des terres du Japon mélangées avec de l'eau. A chaque coupelle, une nuance de couleur et un motif de craquelure.
Salle du Parloir, 108 coupelles de terres du Japon
Dans la salle du Chapitre, il a disposé à hauteur de table en un grand ovale 365 flacons de terres du Poitou qui montrent encore une progression chromatique étonnante. 
Salle du Chapitre, 365 flacons de terre du Poitou-Charente
La salle des Religieuses offre un tapis de terres collectées autour de l'abbaye. Chaque terre est disposée en carré sur un papier japonais végétal, comme une offrande, en suivant la progression temporelle de la collecte. Cette installation très simple donne à la fois l'impression d'une grande sérénité mais aussi d'une grande fragilité. Nos gestes, voire nos respirations doivent être mesurés, sinon tout risque de disparaître. 
Salle des Religieuses, terres de la région de Maubuisson

La dernière installation, dans une petite pièce fermée d'une porte, n'est accessible qu'à deux personnes à la fois. Sur un socle, sous une cloche de verre, un seul flacon, muséifié par une mise en scène précieuse.




Innocence
Si on s'approche, on peut lire sur le flacon un nom, "Innocence", puis dessous "sol de Fukushima, 2011".

Cette terre a été ramassée avant le séisme, le tsunami et l'accident nucléaire, dans le village de Iitate aujourd'hui évacué, qui se trouve dans la zone interdite autour de la centrale de Fukushima. 
Pour Kurita, le mot innocence est très ample et renvoie à de nombreux termes japonais mujaki 無邪気, mubôbi 無防備, muku 無垢, mujitsu 無実, muzai 無罪.

Voici une vidéo de 14 minutes  montrant la ritualité et la rigueur, la délicatesse et la minutie qui imprègnent la façon de procéder de Kurita, depuis la collecte extérieure (très belles photos de paysages prises par sa compagne-assistante-qu'on-ne-voit-jamais-comme-d'hab) jusqu'aux gestes et positions du corps pour la mise en place finale, avec les différentes étapes de préparation de la terre. D'une idée très simple, Kurita Kôichi a construit tout un procès extrêmement sophistiqué et contemplatif, mais d'une grande proximité.





Images d'un livre pour les enfants écrit par Kurita Kôichi,
découvrez et faites-le vous-même

dimanche 2 mars 2014

Des nouvelles du printemps et un paysage d'hiver... 春便りと冬の風景

Mercredi 26 février, les médias, dont la télévision publique NHK, ont présenté la carte qui prédit l'avancée du front des cerisiers. D'après ces données, la floraison devrait débuter à Tokyo vers le 26 mars. 
Cette carte va maintenant être précisée chaque semaine, suivant les variations météorologiques. Cela pourrait sembler un peu anecdotique mais cet événement saisonnier revêtant une telle importance pour toute la société japonaise sur tout le territoire, la prévision des dates de floraison est une chose extrêmement sérieuse. En effet, les localités doivent préparer et organiser des aménagements provisoires parfois importants, tels que toilettes publiques, poubelles, stands de vente à emporter, éclairages, ... dans chacun des innombrables lieux célèbres pour leurs cerisiers qui vont voir leur fréquentation explosée, depuis le petit jardin public de quartier, jusqu'au site classé par l'Unesco comme patrimoine de l'humanité tels les mont de Yoshino près de Nara. Pendant une semaine, ce sont, dans certains parcs urbains, des centaines de milliers de personnes qui vont venir admirer, déambuler, piqueniquer, boire, se perdre, se retrouver, se photographier, s'exclamer, s'émouvoir, s'en aller pour revenir l'an prochain. 
Il y a quelques années, l'agence de la Météorologie nationale a fait une petite erreur de prévision, rattrapée au dernier moment mais qui a pu entraîner quelques perturbations ; son directeur a fait des excuses publiques pour cette faute dont la cause a été recherchée avec célérité : une donnée erronée introduite dans les calculs.
En hiver, les algues wakame sont récoltées
Les wakame sèchent en plein air, ici sur la plage de Kamakura
La lumière glacée et limpide de l'hiver est en train de changer en une luminosité humide et brumeuse ; une pluie encore froide arrose les jardins, le régime hivernal est en train de laisser la place à celui du printemps.

Entrée d'un temple près de la mer à Kamakura, au sud de Tokyo
Par ailleurs, se préparent aussi les événements commémoratifs de la triple catastrophe du 11 mars 2011. En avant-goût, le 1er mars, a été commémoré, 60 ans après, avec un des survivants devenu activiste antinucléaire plus que jamais énergique à 80 ans, l'accident du Daigo Fukuryû Maru, un bateau de pêche japonais qui fut touché par l'essai d'une bombe H effectué par les Américains dans le Pacifique, près des îles Marshall et de l'atoll de Bikini, le 1er mars 1954. Parmi les 23 membres d'équipage, 15 décédèrent assez rapidement, le chef radio mourant 7 mois après l'accident. Voir dans cet article en anglais du journal Mainichi un portrait de cet ancien pêcheur, Oishi Matashichi, en visite dans les îles Marshall avec des étudiants de l'université de Fukushima dont les familles ont été déplacées à cause de la catastrophe nucléaire. Les populations de ces îles du Pacifique ont elles aussi payés un lourd tribut aux essais atomiques effectués entre 1946 et 1958.

Décidément, le Japon a déjà une histoire longue et tourmentée avec le nucléaire, comme un mauvais karma qui le poursuit, à jamais.
 

mardi 11 février 2014

Tombe la neige... 雪が降る

Samedi 7 février, toute la journée, la neige est abondamment tombée, faisant exploser les superlatifs dans les médias qui n'auraient pas vu une telle chute depuis 50 ans. Pourtant, à Tokyo, la neige fait partie du paysage hivernal, même si elle se fait plus rare du fait du réchauffement urbain : la température moyenne de janvier a augmenté à Tokyo de 4°C en 100 ans, d'où la rareté des jours de gel et de neige.

Quartier de Hirai, samedi matin

La neige sied bien à la ville de Tokyo. Autant à Paris, la neige n'apporte pas grand chose, très vite transformée en une affreuse gadoue noire, autant elle métamorphose Tokyo. A Paris, les bâtiments sont trop hauts pour laisser voir les toits blanchir, les façades trop verticales, la végétation trop rare pour la retenir, alors qu'à Tokyo, les toits des petites maisons, les jardinets, les moindres buissons, accrochent la neige. La lumière blanche unifie la ville d'ordinaire si disparate et crée un paysage monochrome. Les quartiers ordinaires de ruelles prennent des allures de villages de montagne, les grands toits des temples et sanctuaires semblent garder quelque vallée mystérieuse. Tokyo sous la neige, c'est sublime.
Oranger sous la neige, Hirai

Malgré un manteau de 30 cm, et surtout de fortes rafales de vent, les trains ont continué à assurer leur service, les bus ont mis leurs chaînes. Dimanche matin tout le monde a sorti sa pelle pour déneiger les trottoirs et permettre de circuler sans glissade. Lorsque je me suis levée vers 8h, un voisin avait déjà tout déblayé devant nos trois maisons contigües. Les enfants se sont régalés toute la journée.
Camélia

Sanctuaire shinto du quartier de Hirai

Tandis qu'à Paris les jardins publics ferment car "la neige masquant les reliefs peut être cause d'accident", à Tokyo, les parcs et jardins restent ouverts pour offrir l'occasion d'admirer ce paysage exceptionnel, thème saisonnier qui fait l'objet d'une appréciation poétique depuis fort longtemps. A l'époque d'Edo (1600-1867), on allait pratiquer yukimi 雪見(contempler la neige) sur le modèle de hanami lors des cerisiers en fleurs. Aujourd'hui, les promeneurs restent assez nombreux, des photographes avec leur matériel emballé dans du plastique, des familles avec des enfants et des étrangers résidents à Tokyo qui profitent de ces sensations uniques.
Cerisiers du parc Shinjuku Gyôen
Etang du parc Shinjuku Gyôen
Lanterne et bambous nains sasa
Bois de pruniers ume avec les premières fleurs
Une photographe en action, toujours à Shinjuku Gyôen

La nature nous apporte consolation, nous en avons bien besoin, car ce weekend de neige fut aussi celui de l'élection du Gouverneur de Tokyo (le maire), élection anticipée après la démission du précédent Gouverneur au bout d'un an de mandat pour cause d'argent perçu illégalement.
La campagne électorale, très étrangement peu relayée par les médias, est devenue sur le terrain une confrontation pro ou antinucléaire avec la présence de deux candidats clairement antinucléaires : un avocat soutenu par le parti communiste et divers petits partis de gauche, et Hosokawa Morihiro, ancien premier ministre sorti au débotté de sa retraite et très activement soutenu par Koizumi Junichiro également ancien premier ministre métamorphosé en adversaire du lobby nucléaire, après en avoir été un membre de fait, par sa carrière politique. A noter que Koizumi est membre du même parti que le chef du gouvernement actuel, Abe Shinzô, dont il critique très ouvertement les choix économiques et politiques. Les deux candidats anti-nucléaires n'ont pas réussi à faire candidature commune. Le total de leur voix est égal à celui du candidat élu, Masuzoe Yôichi, ancien ministre de la Santé, soutien du gouvernement actuel, donc pro-nucléaire en plus d'être furieusement misogyne. 
Autre signe inquiétant, en plus d'au taux de participation extrêmement faible, un candidat ultranationaliste, ancien cadre militaire de l'Armée où il était enseignant, révoqué pour cause de propos révisionnistes sur le rôle du Japon pendant la guerre, a obtenu beaucoup de voix et a fini en quatrième position.
Les habitants des régions du Tohoku touchées par les désastres du 11 mars 2011 sont très déçus de ce résultat. Le Gouverneur élu n'a mis en avant que la préparation des Jeux Olympiques d'été en 2020, une occasion de faire de Tokyo la ville leader du monde, objectif bien égoïste et étroit. Les réfugiés nucléaires se sentent particulièrement sacrifiés sur l'autel de la réussite de Tokyo. N'oublions pas que Tepco, le calamiteux exploitant des centrales nucléaires dans le nord du Japon dont celle de Fukushima, signifie Tokyo Electric Power Company.
 
Super Bonus A Ne Pas Rater :
Un chanteur qui fut une grande vedette ici et cette chanson, un succès repris par plein de chanteurs japonais  :
Adamo, Tombe la neige en japonais au Japon !

Une version 100% japonaise par une chanteuse célébrissime décédée en 1989, Misora Hibari, à la prenante voix androgyne :
 

samedi 28 septembre 2013

Un monde hors du monde... 世界を離れている世界

Un journaliste et photographe indépendant, Kino Ryûichi 木野龍逸, s'est rendu en juin, pour la quatrième fois, à Fukushima.
Il a rapporté une série d'images de la zone interdite dans un rayon de 20km autour de la centrale en dévastation, requalifiée depuis mai dernier en "zone de retour impossible dans un délai de cinq ans".
Pour voir toutes les images, cliquez sur ce lien.
Des sacs de matières contaminées
On voit de tels sacs remplis de terre ou de végétaux, provenant des chantiers de "décontamination", depuis les fenêtres du Shinkansen (TGV) qui va vers le nord, un peu avant la ville de Fukushima, au bord des champs. Sacs de terre, réservoirs d'eau, l'asphyxie du territoire s'étend. Jusqu'où ?
Sacs à perte de vue, dont on ne sait que faire

Chemin de fer abandonné
Ville abandonnée
Littoral abandonné après le tsunami, un autel honore des disparus
C'est le culte rendu aux morts qui seul témoigne du passage des vivants dans cette zone de non-lieu.
Campagne abandonnée
"L'énergie nucléaire pour construire une société et une ville riches" clame le portique installé à l'entrée du bourg de Futaba, commune sur laquelle la moitié de la centrale de Fukushima est implantée. 
Sur une autre image, un portique proclame "Le nucléaire, énergie d'un futur lumineux".

vendredi 13 septembre 2013

"Let me assure you the situation is under control."

Vol Air France, quelque part dans le ciel entre Paris et Tokyo dans la nuit de samedi à dimanche. Une hôtesse japonaise prend le micro : 
"J'ai une très bonne nouvelle à annoncer, Tokyo vient d'être choisi pour organiser les Jeux Olympiques de 2020.
Dans l'avion, quelques applaudissements et expressions de joie, enthousiasme modéré (la population de Tokyo était la moins motivée pour soutenir l'organisation des JO, à peine 60% contre l'immense majorité des Stambouliotes ou des Madrilènes). L'annonce faite en japonais n'est traduite ni en français, ni en anglais, comme quoi, les valeurs soit-disant universalistes de l'olympisme flattent avant tout (seulement ?) la ferveur nationale.

A Tokyo, dimanche 8 septembre, tous les médias, télévisions, journaux, panneaux d'affichages, enchaînent éditions et programmes spéciaux, on frise la saturation.

Pour soutenir le gouverneur de Tokyo, le premier ministre Abe Shinzô avait fait le déplacement à Buenos Aires. Dans son discours devant le jury, il n'avait pas prévu de parler de Fukushima mais la délégation sur place lui fit comprendre que, plutôt d'attendre les inévitables questions à ce sujet, il valait mieux prendre les devants. Même si les membres du comité olympique, pour diverses raisons, avaient déjà fait leur choix (stratégies européennes pour 2024, inquiétudes sur la situation sociale et économique en Turquie, garantie et sécurité assurées en choisissant le Japon -le nucléaire fait moins peur que l'islam -), personne ne pouvait complètement éluder la question de Fukushima après le feuilleton des fuites d'eau radioactives pendant tout l'été.

Dans un anglais laborieux, Abe assura donc à certains qui s'inquiétaient à propos de la centrale de Fukushima, que la situation était sous contrôle. Que l'eau contaminée ne sortait pas des limites du port de la centrale, et que surtout Tokyo n'était en rien concerné par ce qui se passait là-bas. Il conclut en disant que, sous le ciel bleu de la ville de Fukushima, les enfant jouaient au ballon et que la désignation de Tokyo serait une grande joie pour eux, un réconfort pour tous les habitants de la région touchée par le séisme et le tsunami de mars 2011.
Le site de la ville de Fukushima, entre rivière et montagnes. La rivière Abukuma accueille en hiver de nombreux cygnes et canards qui descendent de Sibérie... 福島市に於ける阿武隈川
Images Sb prises le 11 mars 2013

Les habitants de la région concernée en premier lieu, mais aussi beaucoup de personnes à Tokyo, ont été consternés par de tels propos mensongers. Les pêcheurs du département de Fukushima, interdits d'activité à cause de la contamination des eaux du littoral, ont fait savoir leur colère. C'est leur situation qui est niée ! Lundi 9 septembre, lors de la conférence de presse hebdomadaire sur la situation à la centrale de Fukushima, les journalistes ont demandé aux responsables de Tepco en face d'eux s'ils pouvaient confirmer les propos du premier ministre. Gros embarras. Le gouverneur de la préfecture de Fukushima a fait connaître aussi sa stupeur et a annoncé qu'il interprétait les propos de Abe comme un engagement du gouvernement et de l'Etat à prendre la responsabilité totale du chantier, décrit comme "un hôpital sur un champ de bataille" par un dirigeant de Tepco. 
Sous le ciel bleu de Fukushima, toutes les écoles, les crèches, les jardins publics sont équipés d'appareils qui mesurent la radioactivité
Photos Sb prises le 11 mars 2013
Pendant ce temps, les eaux souterraines qui descendent des montagnes vers la mer, continuent à se charger de cesium et de tritium en passant sous la centrale. Les divers moyens mis en oeuvre pour essayer de bloquer ces flux ont tous échoué, d'autres vont être tentés comme congeler les sols pour former une barrière, après l'échec du mur de béton ou de l'injection de gélifiants. Au coup par coup il faut inventer des réponses à des problèmes inconnus et mal cernés, aucune solution globale n'est disponible. Les centaines de réservoirs d'eau encore plus contaminée (fuyant aussi) qui occupent aujourd'hui la majeure partie du site et des ouvriers, représentent d'après un spécialiste un danger potentiellement plus préoccupant que les eaux souterraines. Et vendredi 13 septembre, de la vapeur blanche dont la cause reste inexpliquée a été à nouveau observée.
Des réservoirs qui s'étendent à perte de vue... 汚染水を移送するための 緊急時用タンク
Photos du site de Fukushima publiées par le Japan Daily Press
Bref, ça fuit, ça fume, ça coule, tous les projecteurs sont braqués sur Fukushima, peut-être pendant peu de temps, mais la dimension des problèmes apparaît très crûment depuis la désignation de Tokyo par le CIO.
L'attitude offusquée des autorités devant les dessins du Canard Enchaîné (qui ont fait la une des journaux japonais) montre que la situation est peut-être sous contrôle mais qu'il suffit de peu pour faire déraper cette belle assurance.
Dessin du Canard Enchaîné paru le 11 septembre

 
Fuku-chan, mascotte proposé par un Américain. Le mauvais esprit est bien partagé... アメリカ人が提案したフクちゃんというロゴとキャラクター

mardi 19 mars 2013

Cerisier pleureur en fleurs, début de hanami... しだれ桜の開花

Cerisier pleureur... 枝垂桜
Chaque année, en d'innombrables lieux, la floraison des cerisiers ré-enchante la ville.
Hanami, c'est fêter l'arrivée du printemps et les promesses d'un nouveau cycle annuel qui commence, c'est profiter de la beauté et de la profusion des fleurs, éphémères, c'est donc aussi rester conscient de l'impermanence de ce monde, mais c'est avant tout une occasion de se réjouir à ne pas manquer.

Entrée d'un petit temple dans le quartier de Waseda
Tous les ans, ce sont les cerisiers pleureurs qui ouvrent les festivités. Temps splendide à Tokyo depuis le début du mois de mars, ce qui a activé les bourgeons et anticipé toutes les prévisions.

Depuis hier soir, lundi 18 mars, une panne de courant, dont la raison est inconnue, a stoppé le système de refroidissement des 3 piscines contenant des barres de combustibles nucléaires usagées.
La plus chargée des piscines, celle en équilibre précaire du réacteur n°4, supporterait de n'être pas refroidie pendant 4 jours, les deux autres un peu plus longtemps semble-t-il.

Avons-nous encore besoin des cerisiers pour nous rappeler l'infinie précarité de notre monde ? 

Mise à jour le 20 mars au matin : hier soir vers minuit, le courant a été rétabli et a permis aux systèmes de refroidissement des 3 piscines de redémarrer. La coupure aura duré 29 heures.
Le chef de cabinet du Premier ministre, Suga Yoshihide, nous avait bien dit qu'"il n'y avait aucune raison de s'inquiéter."
Malgré tout,la nouvelle agence de sécurité japonaise, Nuclear Regulation Authority, créée après la catastrophe de Fukushima et qui fait plutôt bien son boulot, a vivement critiqué Tepco qui a attendu plusieurs heures avant de signaler ce problème majeur. 

Mise à jour le 20 mars au soir : c'est une "petite bête" (une souris, un mulot) qui est la cause de la panne d'électricité. La sécurité nucléaire tient à peu de chose...Des souris et des atomes.

samedi 16 mars 2013

Nos amis les bêtes... 動物の習性

Voici la vidéo qui a été mise en ligne sur le site du zoo de Ueno, à Tokyo, le 12 mars dernier.

L'événement, qui s'est produit le 11 mars, fait la une de toutes les chaînes de télévision, même du journal télévisé de la NHK, et aussi des quotidiens qui y consacrent des articles entiers : les deux grands pandas du zoo de Ueno se sont accouplés, et même plusieurs fois. C'est le niveau sonore des ébats qui a interpelé les responsables, étonnés de cette fougue. Aucun détail n'est épargné.

L'an dernier, à la même époque, nous avions suivi les préliminaires, mais plus discrètement, puis la grossesse pressentie, enfin la naissance d'un bébé panda. Là, ce fut un délire général et nataliste, les femmes enceintes accouraient à Ueno, les jeunes mères s'y précipitaient avec leur poussette, le petit panda devenait effigie de tout et de n'importe quoi. Les médias profitaient et abusaient du désir commun de partager, enfin, une nouvelle heureuse.

Les responsables zootechniciens dévoilaient aux foules attendries, images à l'appui, que Shin-Shin était une bonne mère, allaitait bien son petit, en prenait soin. Les futures ou jeunes mamans, émues, répondaient lors de mémorables micro-trottoirs qu'elles prenaient inspiration sur cette maternité idéale. On ne disait plus rien sur le père Ri-Ri, mais c'est sans doute normal. 

Las, au bout d'une semaine, le petit panda est mort. D'une pneumonie nous révéla en pleurs (je n'exagère pas) le directeur du zoo. Ce fut quasiment un deuil national. La Chine, qui loue ces pandas au Japon (un million de dollars par an), à un poil d'attaquer militairement, envoya un message de condoléances, après en avoir envoyé un de congratulations une semaine plus tôt. Le pays avait enduré un séisme majeur, subi un tsunami ravageur, s'enlisait dans la radioactivité, mais allait-il se remettre de la mort du petit panda ?

Le printemps finit toujours par revenir, et vu le succès de la saison 1, la saison 2 attaque très fort et hard. La vidéo tourne sur toutes les chaînes, elle est reprise sur d'innombrables sites, même par les médias étrangers. 

Bien sûr, on ne peut pas rester indéfiniment les yeux rivés sur les réacteurs de la centrale de Fukushima, on ne peut pas s'inquiéter sans cesse des rejets continus en mer, on ne peut pas songer perpétuellement aux agriculteurs retournant leur terre plusieurs fois dans l'espoir d'enterrer un peu plus les nucléides, on ne peut pas s'inquiéter à longueur de temps des conditions de travail des ouvriers sur le chantier prévu pour durer 40 ans, on ne peut pas penser continûment aux pêcheurs qui ramènent au port des poissons trop contaminés et les rejettent en mer, ...
... il faut trouver des dérivatifs pour divertir nos esprits fatigués et nous détourner de trop lourdes préoccupations.

Voilà sans doute pourquoi les histoires de bêtes, de sexe, sont reprises de façon récurrente par les médias. Tiens, des histoires de bêtes, de sexe, qui reviennent en boucle, ça ne vous dit rien ? 
Animaux anthropisés ici, humains bestialisés là. Bon, ici au Japon, nous avons déjà le film, et a priori Shin-Shin et Ri-Ri vont nous épargner le livre.

Bonus sonore:
Les événements graves ne stimulent pas que des exutoires faciles. Ils peuvent aussi inspirer l'humour le plus noir et le plus grinçant. Comme dans ce sketch du comédien Didier Bénureau, sobrement intitulé Fukushima. C'est absurde et fou, comme sur place.

 Cliquer sur ce lien puis sur le fichier Mp3 Fukushima

Ville de Fukushima, le 11 mars 2013, costumes locaux, anciens et nouveaux...福島市3月11日、昔と現在の民族衣装