« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

vendredi 29 juin 2012

La Révolution des hortensias... 紫陽花革命

La Révolution des hortensias, c'est le nom que s'est donné le mouvement qui s'amplifie de semaine en semaine, toujours plus déterminé, plus jeune, plus battant, indépendant des partis politiques et des syndicats, éperonné par le redémarrage prévu de centrales nucléaires.

Les hortensias, car c'est la saison des pluies et ces fleurs en sont emblématiques. Ils sont d'ailleurs magnifiques cette année. Un signe !
Floraison de pancartes et banderoles bricolées mais un seul et unique slogan :
再稼動反対 Non au redémarrage !
Et beaucoup de jeux de mot avec le nom du premier ministre Noda, qui devient Noだ, c'est No. Autour de sa résidence officielle à Tokyo, 40 000 personnes vendredi 22 juin, et 150 000 à 200 000, le 29 juin ! Quel bruit, a-t-il finement remarqué ! Du bruit seulement ? 

Devant l'affluence, les policiers ont dû finalement concéder toute la chaussée aux manifestants alors qu'en principe il est convenu qu'au Japon une manifestation, pour ne pas déranger la circulation, se cantonne à un couloir. Ce fait est noté et rapporté, un événement en soi.
La semaine dernière, un petit groupe de manifestants pro-nucléaires, issus des rangs de l'extrême-droite, avaient réussi à se faire remarquer mais ce vendredi, même s'ils étaient là, ils ont été engloutis. 
Les hortensias vaincront !

Salary man à la sortie du bureau, pancarte à l'Ipad
 
Défilé style danse traditionnelle
Pancarte dessinée par la graphiste Misato Yugi
Moins gentil, Noda avec les déchets nucléaires
La silhouette de l'Assemblée nationale en arrière-plan

lundi 25 juin 2012

Des nouvelles de Iitate-mura, village de Fukushima-ken. Le satoyama perdu... 飯舘村の便り。失った里山

Décider de ne pas baisser les bras
Tant d'amertume nous avons éprouvé
tant et tant nous avons pleuré
Mais nous sommes vivants
Et de fait, s'arrêter est impossible
Même petit, un pas fait aller de l'avant
Voyez donc. Donnant ses fruits
La plante, jusque dans cette situation-là
s'acharne et vit
Alors moi aussi
J'ai décidé de ne pas baisser les bras
                                   Watanabe Tomiko
Rose trémière spontanée dans mon jardin... 私の庭で自然に植えられれたタチアオイ
あきらめないことにしたの
沢山悔しい思いをしたよね
沢山、沢山泣いたよ
でも、生きている
やっぱり止まっては駄目だよ
どんなに小さな一歩でも前へ進んだら
ほらね。実ってくれたんだもの
植物は、こんな状況の中でも
頑張って生きているんだもの
だから私は
あきらめないことにしたの 
                 渡辺とみ子

Watanabe Tomiko, née dans la préfecture de Fukushima, habitait depuis son mariage il y a une trentaine d'années, à Iitate, bourg de 6000 habitants environ. Des photos de Iitate, fier de la qualité de ses paysages, de ses milieux naturels et de sa richesse culturelle, sont toujours sur le site des plus beaux villages du Japon.
Paysage de Iitate-mura sur le site "The most beautiful villages in Japan"

Depuis 1980, la commune d'Iitate, avec entre autres l'université de Fukushima, élaborait un mode de revitalisation original et dynamique de son territoire rural et de ses hameaux si représentatifs du satoyama.
Le satoyama est le territoire façonné par la polyculture vivrière et ses pratiques locales, parfois ancestrales. Il est composé d'une mosaïque de champs secs et de rizières, d'étangs-réservoirs et de cours d'eau, de rigoles et de roselières, de jardins et de vergers, d'habitations et de voies. Le tout est bordé de bois recépés qui forment une interface stabilisée et très entretenue entre la zone cultivée et habitée, et la forêt naturelle couvrant les hauteurs. Nature et culture se sont chevauchées et mutuellement enrichies dans le satoyama.
Champs et bois, le satoyama en automne, sur le site "The most beautiful villages in Japan"... 秋の飯舘村の里山
A Iitate, s'installaient de jeunes familles tournées vers l'agriculture biologique, la formation pour ces méthodes agricoles, l'éco-tourisme. Les projets et initiatives foisonnaient. Mme Watanabe et un groupe de femmes avaient lancé un conservatoire coopératif des variétés de pommes de terre cultivées au Japon. Elles produisaient et commercialisaient des semences. Puis après la pomme de terre, elles ont entrepris de recenser et produire des graines de différentes variétés de potimarron, légume très apprécié au Japon. 
Carte issue du site gen 4

Iitate-mura se situe à environ 40 km de la centrale nucléaire de Fukushima (distance équivalente à celle entre le site de Tricastin et Châteauneuf-du-Pape, juste pour donner un ordre de grandeur). Iitate-mura est à l’extrémité nord-ouest du couloir rouge foncé sur la carte ci-dessus, signalant la zone la plus contaminée après les explosions et les retombées radioactives qui se sont succédées à partir du 12 mars. Comme Iitate-mura se trouve en dehors de la zone d'exclusion de 30 km, les habitants sont restés dans l'incertitude sur leur sort jusqu'au 19 avril 2011, avec d'abord une interdiction absolue de boire l'eau du robinet, puis de consommer leurs produits, contaminés pour les légumes à feuilles à des niveaux atteignant les millions de becquerels, enfin arriva une annonce d'évacuation. Le doyen du village, âgé de 102 ans déclina l'offre en se donnant la mort.
Carte issue du site gen 4
Aujourd'hui, Watanabe Tomiko vit avec d'autres habitants de Iitate-mura dans la ville-préfecture de Fukushima. Avec quelques femmes, elle a créé un atelier de fabrication de bentô, boites-repas, à la fois bons au goût et à la santé, garantis avec moins de 20 Bq/kg. Leur atelier fait partie des projets Kâchan no chikara, qu'on peut traduire par La force de maman
Décider de ne pas baisser les bras...

Sur le site The most beautiful villages in Japan à la page de Iitate-mura, si l'on clique sur la rubrique Des nouvelles du village, 村のニュース on peut lire :
現在ニュースはありません Actuellement, il n'y a pas de nouvelles

Merci à Christine Lévy de nous avoir fait connaître Mme Watanabe Tomiko, le 16 juin 2012 à la Maison franco-japonaise de Tokyo.



jeudi 14 juin 2012

Dans le bain japonais... 温泉に入りましょう

Les Japonais travaillent comme de petites fourmis, c'est bien connu, mais chose moins connue peut-être, ils savent aussi prendre du bon temps.
Un loisir des plus appréciés consiste à "aller prendre les eaux", c'est à dire passer un week-end dans une auberge dotées de bains alimentés par une source chaude naturelle, une auberge thermale en sorte.
Site de Takaragawa onsen, fin mai... 五月の群馬県宝川温泉
Le Japon est caractérisé par son volcanisme actif avec lequel la coexistence n'est pas toujours pacifique. Celui-ci offre l'avantage de générer de multiples sources chaudes, riches en minéraux. A proximité des eaux les plus abondantes, se sont installées des auberges où l'on va se reposer, profiter des bains, de bons repas arrosés de sake local, et des paysages. L'attrait des courts séjours dans ces ryokan, en famille, entre amis, avec des collègues, jeunes ou vieux, ne se dément pas. Des milliers d'auberges thermales sont réparties dans tout le Japon, des brochures vantant leurs charmes sont à disposition dans toutes les gares, les guides touristico-gastronomiques sur les ryokan et leurs bains remplissent les rayons des libraires et des programmes de télévision plusieurs soirs par semaines sont consacrés à ces excursions prisées par les Japonais de 1 à 99 ans.
Bain extérieur rotenburo... 露天風呂
Des noms de onsen, littéralement source chaude, sont cités dans les textes les plus anciens, recueils de mythes ou anthologies poétiques. Les empereurs des temps lointains fréquentaient des sources, lieux sacrés liés aux divinités des montagnes et des volcans. Le bain s'est imprégné de sens, rituel purificatoire et de communion avec les forces de la nature ; il en a gardé une forte signifiance qui va bien au-delà du simple rôle hygiénique. 
Il semble que l'intérêt thérapeutique se soit révélé lors de l'époque Kamakura (1185-1333), période où la classe des guerriers prend le pouvoir à l'empereur, réduit à un rôle de figuration intelligente, pour le garder pendant de longs siècles. Sans doute parce que, après les batailles qui émaillent ces temps de guerres claniques devenus incertains, les guerriers ont remarqué que leurs blessures et leur stress s'atténuaient grâce aux eaux réparatrices. 
A droite, hôtellerie la plus ancienne et au fond, des bains... 右に最も古い建物
Pendant l'époque Edo (1603-1867), sont publiés les premiers guides et cartes qui répertorient les onsen fréquentés par des voyageurs de toutes conditions, nombreux pendant cette période de paix et d'activité. On fréquente certains lieux en fonction de l'attrait saisonnier comme les ramures fraîches du printemps ou les feuillages rougeoyants de l'automne. 
A partir des années 1920, avec la création des premiers parcs nationaux, démarre la période moderne des auberges thermales qui sont des occasions de développement des régions rurales par la promotion touristique. Là où il n'y a pas de onsen répertorié, on creuse pour trouver de l'eau chaude ce qui n'est jamais bien difficile. Un texte de loi sur les onsen donne une définition (quantité d'eau, qualité, température) et un cadre juridique à leur exploitation.

L'accès se fait à Takaragawa onsen par une navette qui nous attend à la descente du train, à une heure et quart de Tokyo. Après une bonne heure de bus, nous arrivons à l'auberge qui égrène des bâtiments d'époques différentes au bord d'un torrent dévalant entre des montagnes boisées. Nous laissons nos chaussures à l'entrée et choisissons parmi les couleurs et motifs au choix, notre yukata, littéralement vêtement de bain, sorte de kimono de coton, porté avec une ceinture et une veste. Puis une okamisan nous accompagne à notre chambre et nous demande des précisions sur nos horaires de repas ou autre désir. 
En dehors du réseau des téléphones portables... 携帯電話が繋がらない時
Ensuite, une fois en yukata, commence l'exploration du site. Cette auberge propose de vastes bains intérieurs, équipés de douche et de tout ce qu'il faut pour se laver. Mais ce sont les bains à l'extérieur, rotenburo, construits de rochers dans le lit du torrent, qui font l'attrait et l'intérêt de Takaragawa onsen. Leur spécificité, qui se fait rare, c'est qu'ils sont mixtes, chacun équipé d'un pavillon pour se déshabiller dans des vestiaires séparés. Cependant, un bain, en encorbellement sur un rapide du torrent, est réservé aux femmes. 
Pour entrer dans l'eau, une petite serviette rectangulaire blanche sert à cacher ce qu'on veut cacher, et une fois assis dans le bain, la hauteur de l'eau permet d'avoir les épaules couvertes. Quand on a trop chaud, on peut s'asseoir sur de grosses pierres disposées autour du bassin.

Les bassins sont suffisamment nombreux et grands pour éviter l'impression de promiscuité. A un moment j'observe les "curistes" autour de moi : une famille, le couple parental dans la quarantaine et leurs trois garçonnets de 5 à 10 ans qui s'ébattent ; un jeune couple, lui est français, elle japonaise ; une grand-mère, sa fille, et son petit-fils de 4 ans ; trois retraités, sans doute anciens collègues. Les bavardages sont bas, le temps s'étire s'il ne s'arrête, seuls les enfants s'agitent dans une certaine limite. De bain en bain, pour profiter de paysages différents, on se croise, se retrouve, échange quelques mots sur la beauté des lieux, le temps qu'il fait, les ours, singes et autres animaux qui habitent les montagnes, les spécialités culinaires du coin, ... Le bain, d'ordinaire réservé à l'intimité et à la nudité, devient lieu de sociabilité.
Bain réservé aux femmes... 女性専用の露天風呂
Et le lendemain matin, le rituel reprendra. Avant d'aller faire une randonnée, d'aller visiter les environs, ou bien de rentrer chez soi.