Faire les courses, un vrai casse-tête à Tokyo.
L'approvisionnement en produits frais, surtout fruits et légumes, est encore très local au Japon. De plus, l'automne qui approche est la saison des récoltes des régions septentrionales (Tôhoku signifie nord-est), alors qu'au printemps, les primeurs viennent du sud-ouest comme l'île de Kyûshû.
J'arrive au supermarché et je vois : tomates de Fukushima, pêches de Fukushima, poires de Fukushima, ... Voir tant de produits issus de ce territoire plus ou moins contaminé (plutôt plus que moins) sur le même étal, c'est très déroutant. C'est étiqueté, c'est déjà ça.
Concombres de Fukushima... 福島の胡瓜 |
Les autorités ont beau dire que tout est sous contrôle, les Japonais doutent. On doute car chaque semaine voit apparaître son lot de produits chargés x fois plus que la norme maximale : la semaine dernière, du thé de Shizuoka (juste au sud de Tokyo) et de Saitama (juste au nord de Tokyo) ; les semaines précédentes, c'est de la viande contaminée de Fukushima écoulée à bon marché qui s'est retrouvée dans les assiettes des cantines scolaires de Yokohama ; c'est du foin contaminé de Fukushima acheté à bon prix par de peu scrupuleux éleveurs de Hokkaidô (île la plus septentrionale et épargnée) qui a été repéré; là, des épinards, etc, etc. C'est le furet qui est passé par ici et repassera par là.
Les fameuses pêches de Fukushima... 福島の有名な桃 |
Bref, il semble que le gouvernement ait géré d'une bien maladroite façon la question des récoltes dans cette région agricole, en laissant les paysans cultiver cette année (ils ont en plus remué la terre ce qui rendra la décontamination encore plus ardue) et maintenant ceux-ci doivent bien écouler leurs productions que les autorités nous assurent consommables avec moins de 500 becquerels par kilo (cette norme, élevée, est critiquée par de nombreux spécialistes au Japon). Et d'ici peu, c'est le riz de Fukushima qui va déferler.
Un arrêt de la production, pour cette année au moins, aurait sans doute été plus sage, mais privés de sources de revenus, les agriculteurs auraient dû être indemnisés.
Cette mesquine économie aboutit à diffusion sur tout le territoire de produits peu fiables voire dangereux pour la santé des enfants, conduit à une méfiance grandissante vis à vis de l'agriculture nationale et du système de contrôle mis en place mais impossible à appliquer à toutes les récoltes.
Poires de Fukushima... 福島の梨 |
Cette fois encore, la société civile prend les devants. Des groupements d'achats, souvent de productions biologiques, mettent en place leur propre procédure de mesures et ainsi garantissent des paniers sûrs à destination des familles avec enfants, qu'on peut commander par internet. Des coopératives locales réunissant producteurs et consommateurs dans les régions méridionales s'ouvrent aux habitants du nord.
Bref, en recoupant informations et pratiques de diverses personnes, il s'avère qu'il vaut mieux éviter les produits des régions pacifiques, de Shizuoka à Miyagi. Soit une dizaine de préfectures ce qui fait pas mal quand on habite Tokyo.
Heureusement, l'étiquetage sur la provenance a toujours été précis au Japon, et les préfectures "saines" en profitent pour grossir leurs étiquettes. Cependant, quand on fait les courses, mieux vaut ne pas oublier ses lunettes, avoir un peu de temps et ne plus trop avoir une idée préconçue de ce qu'on va manger.
Aubergines de Fukushima... 福島の茄子 |
Et au restaurant, c'est sans doute un peu la loterie. Les endroits haut de gamme s'approvisionnent à des sources fiables et le font savoir. Dans un bar chic dimanche soir, chaque plat était présenté avec son lieu d'origine par les serveurs : carottes de Niigata, aubergine de je-ne-sais-plus-où, sans avoir besoin de demander quoi que ce soit. De nouveaux rituels s'instituent, de nouvelles mises en scène s'inventent.