« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

jeudi 22 décembre 2011

Les radiations vues par une graphiste japonaise... 赤つぶつぶの絵


"Si les radiations étaient visibles, si les radiations étaient des points rouges, voila ce qu'on verrait réellement."

Ce film a été réalisé par Yugi Misato, une illustratrice de Tokyo. La musique et les textes des raps ont été composés par les élèves d'un lycée de New York, Harlem Renaissance High-school.
Dans la dernière partie, un jeune rape en français. 
Les images, minimalistes, enchaînent des scènes, des paysages, tous irradiés, qui font références aux situations vécues depuis le 11 mars : pollution de l'air, de la mer, des aliments, du riz, des forêts, des champignons, de tous les êtres vivants, contrainte de consommer des produits contaminés, etc.
Apparaît une évocation de Hiroshima et de "Pluie noire" (1970), récit de Ibuse Masuji, qui raconte les conséquences de l'explosion atomique sur la vie quotidienne d'une famille, les peurs engendrées par la pluie noire radioactive tombée après la bombe et la discrimination vis à vis des victimes. De telles phénomènes ont ponctuellement surgi ces derniers mois : hôtelier qui refuse de louer une chambre à des habitants de Fukushima par exemple.

"Que toutes les grandes personnes surmontent tout et protègent toutes les vies."
Au Japon, ce n'est pas le Père Noël qui est en rouge cette année.

Le blog de Yugi Misato : Un jour, un dessin :  http://www.mikanblog.com/

mercredi 14 décembre 2011

Decon, suite sans fin...デコン、完結なし続き

Résumé de la situation pour qui aurait raté un épisode :

Le Japon ne peut se permettre l'option Tchernobyl, c'est à dire condamner une portion de son territoire pour cause de radioactivité.

Le pays se trouve donc dans l'obligation de "nettoyer" (c'est l'euphémisme officiel employé, clean クリーン) de larges étendues et de traiter de monstrueuses quantités de matériaux : végétaux et sols contaminés issus principalement des cinq préfectures autour de la centrale de Fukushima, débris et gravats laissés par le tsunami et pollués par la radioactivité, auxquels s'ajoutent des résidus secrétés de diverses façons par le désastre nucléaire, qui surgissent au fil du temps et bien au-delà de Fukushima.
Seulement dans la zone d'exclusion de 30km, les décombres du séisme et du tsunami atteignent 500 000 tonnes.

Les carpes du mois de mai qui flottent après le tsunami... 津波の後のこいのぼり
L’état prend en charge le "nettoyage" de la zone d'exclusion et de tous les sites où la radioactivité est supérieure à 20 millisieverts/an. Ailleurs, ce sont les municipalités avec des aides financières publiques qui s'occupent de la decon. Des essais sont en cours, eau sous pression, brossage, aspirateurs de feuilles, afin d'élaborer des directives officielles qui seront données en janvier.
Pour réduire les volumes, il est envisagé d'incinérer tout, même la terre, mais les cendres issues de la combustion, concentrées, ont des taux de radioactivité bien supérieurs aux matériaux d'origine. Le Gouvernement a décidé la récupération des cendres chargées de plus de 8 000 Bq/kg pour contrôler leur stockage en containers et éviter les fuites. Les lieux et modes de stockage n'ont pas encore été fixés. Pendant un temps, c'est la préfecture de Fukushima elle-même, fichue pour fichue, qui était désignée pour entreposer toutes les matières indésirables. Devant l'émoi suscité par ce sacrifice consommé, rien n'a été encore tranché. C'est vrai que ce serait une "solution rationnelle" mais c'est aussi une condamnation définitive difficile à assumer, alors qu'officiellement les efforts de "nettoyage" doivent permettre aux habitants de revenir chez eux.

En dessous de 8 000 Bq/kg, les cendres finissent dans les cimenteries, donc in fine mélangées dans du béton, ou bien déposées avec des résidus d'incinération ordinaires dans les comblements artificiels faits sur le littoral, notamment en baie de Tokyo (umetate-chi). 

Le 24 août dernier, il est brusquement apparu que 42 incinérateurs publics, traitant les déchets ménagers ordinaires, répartis dans 7 préfectures dont celle de Tokyo, contenaient des cendres avec des taux de radioactivité supérieurs à 8 000 Bq/Kg. Ils ont dû stopper leurs activités avant qu'une solution ne soit trouvée pour les désengorger. Laquelle ? Je ne sais pas. En tout cas, en ne brûlant que des déchets ménagers ou de jardin a priori "normaux", ces incinérateurs se sont trouvés saturés de résidus radioactifs, et cela jusque dans Tokyo.
Tests de decon professionnelle, préfecture de Fukushima, toit d'une mairie. Eau chaude, eau froide, circuit fermé, huile de coude et couleurs pop. En janvier, des directives vont être données en fonction de ces essais... デコンの専門的なテスト (photo Asahi )

Le même problème avait surgi plus tôt dans les stations d'épuration qui, après les pluies ayant rabattu au sol le nuage radioactif du mois de mars, se sont remplies d'eaux de ruissellement fortement contaminées puis saturées de boues fortement radioactives. La solution adoptée pendant l'été, présentée dans un reportage de la NHK : une dispersion de containers dans de petits sites clos et soi-disant sécurisés, situés par-ci par-là à la campagne, parfois au beau milieu des rizières ; cela, exécuté sans consultations ni informations des habitants, évidemment aussi inquiets que mécontents, qui s'organisent en associations pour pouvoir contrôler les contrôles.

Le Gouverneur de Tokyo (80 ans aux prunes) a décidé, sans aucun débat public, d'accepter des débris contaminés du tsunami en provenance de petites communes du littoral qui n'ont bien sûr pas la capacité d'absorber ces montagnes de déchets (il leur faudrait 20 ans). Ils seront brûlés dans les différents incinérateurs publics de Tokyo, en ville. Le premier convoi est arrivé début novembre et le programme doit se poursuivre jusqu'en mars 2013 pour traiter 100 000 tonnes. Les déchets contaminés sont mélangés avec un ratio de 1/10 avec d'autres. Osaka vient d'emboîter le pas à Tokyo, et comme à Tokyo, l'opposition des populations est très forte. En tout, les trois préfectures littorales (Miyagi, Iwate, Fukushima) ont 22 millions de tonnes de décombres à partager. Finalement, devant les réticences des habitants, la pédagogie est mise en œuvre : premier test d'une série effectué hier 13 décembre, mesures des matériaux, des fumées et des résidus, mise en ligne des données, etc.
Malgré (ou à cause de) ces efforts, les Japonais ont de plus en plus l'impression de servir de cobayes exposés une radioactivité faible mais permanente et généralisée dont on connait mal les conséquences à long terme. C'est ce sentiment qui revient souvent dans les constats sur la situation.

Conclusion à ce jour : la "décontamination" ne fait aucunement disparaître la radioactivité mais ne fait que la déplacer, et donc, la répand partout.

Sur cette question des décombres et de leur dispersement, la vidéo en français sur "les débris maudits du Japon" faite par le journal Aujourd'hui le Japon est un bon résumé.




jeudi 8 décembre 2011

Pensée du jour... 今日の箴言

"L'humanité serait depuis longtemps heureuse, si tout le génie que les hommes mettent à réparer leurs erreurs, ils l'employaient à ne pas les commettre."
Georges Bernard Shaw (1856-1950)

lundi 5 décembre 2011

Décon, le mot de l'année... 今年の言葉とはデコン


Nous avions passo-con, パソコン abréviation en japanglais de personal computer, suivi de mini-con, ミニコン et fami-con, ファミコン pour mini computer et family computer, contenant sans doute des semi-con, セミコン, semi conductors ; nous avions air-con, エアコン pour air conditionner ; zene-con, ゼネコン pour general contractor c'est à dire entreprise de construction générale ; nous avions bodi-con, ボディコン pour body conscious qui qualifie les jeunes femmes vêtues très court et très moulant, apparues dans les euphoriques années 80 de la bulle économique. Et aussi loli-con, ロリコン, pour lolita complex et maza-con, マザコン pour mother complex, designant ceux qui aiment trop les très jeunes filles ou leur maman. 
Bodi-con ou loli-con ?... ロリコンかボディコンでしょうか?
Nous pouvons ajouter à notre collection des abréviations à succès en "con" un nouveau venu qui s'est désormais imposé, et pour longtemps, dans notre paysage lexical et notre environnement quotidien : decon, デコン pour decontamination.
Et voici "la technologie la plus avancée", dixit Hosono Goshi, ministre de l'environnement et de la crise nucléaire des deux derniers gouvernements, en tout cas la plus pratiquée en matière de décontamination au Japon depuis l'accident nucléaire de Fukushima :

                                      
Video diffusée par la NHK, télévision nationale, le 23 novembre 2011. Cette méthode présentée aux médias va être appliquée dans 600 vergers de la préfecture de Fukushima, soit 2 200 hectares. Comme on peut le voir, l'eau récupérée dans la bâche se déverse aux pieds des arbres. Bien souvent, il n'y a pas de bâche.

En ville, à Fukushima mais aussi dans les hot spots découverts à un rythme régulier à Tokyo et dans son agglomération (des points bas, caniveaux bouchés ou dalles, où des eaux de ruissellement stagnantes avec des saletés se sont accumulées concentrant des particules radioactives), c'est la même "technologie" qui est mise en œuvre. Ville et campagne, c'est donc une technique extrêmement adaptative et flexible, que n'importe qui peut utiliser (c'est à dire sans protection ni formation bien souvent). 

Bienvenue chez Kärsher, leader des solutions de nettoyage (c'est leur slogan, regarder le site à la lumière des événements ici, c'est involontairement assez drôle). On pourrait leur proposer : Des banlieues parisiennes à Fukushima, un coup de Kärsher et hop, ça repart.
Comme conclut un pêcheur de Fukushima, entre colère et tristesse : "En voilà une bonne idée, la "décontamination". Mais où est-ce qu'elles vont les matières radioactives une fois qu'elles sont "décontaminées" ? Dans les rivières, et à la fin, à la mer."
Qu'en pensent-ils ?... どう思いますか
Musée d'Art occidental... 西洋美術館

Si malgré sa grande polyvalence le Kärsher n'est pas utilisable, l'autre méthode utilisée (je ne sais comment la qualifie le ministre de l'environnement et de la crise nucléaire) est le grattage. Celui-ci consiste à retirer une couche superficielle de sol, terre, sable ou gazon selon l'endroit. Les lieux fréquentés par les enfants ont été traités assez systématiquement de cette façon, jusqu'à certains endroits à Tokyo : bacs à sable, cours des crèches et écoles, certains jardins publics. Au début, les matériaux décroutés restaient souvent sur place, recouverts d'une simple bâche en plastique. Mais où les mettre ? Qu'en faire ?

Jusqu'à présent, ces opérations de "décontamination", lavage ou grattage, sont souvent effectuées par des équipes de bénévoles (dans les premiers temps même les enfants participaient !) mais un marché se met en place depuis la loi-cadre instaurée en août. Les entreprises de nettoyage sont en train de développer le business de la decon, potentiellement lucratif puisque évalué à un billion de yens, c'est-à-dire 1 000 000 000 000 Yens (10 milliards d'euros environ), proportionnel aux volumes, énormes, à traiter.
Dans la préfecture de Fukushima, les quantités de sols où le niveau de radioactivité est supérieur à 5 000 Bequerel/kg, classés à retirer, sont estimées à 3 millions de tonnes. Le volume des sols et de végétation fortement radioactifs de la préfecture de Fukushima avec les quatre préfectures voisines, est évalué à 29 millions de mètres cubes.

Et il faut ajouter tous les gravats et débris causés par le tsunami et également radioactifs !
Où et comment stocker tout ça ? (A suivre)
Illuminations de Noël à Omotesandô... 表参道のクリスマスのイルミネーション