« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

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mercredi 25 juillet 2012

Manifestations antinucléaires à Tokyo, sons et images... 東京の原発反対デモ、音と画

Depuis avril 2011, les manifestations antinucléaires se succèdent à Tokyo. Dès la première, cela a surpris de la part de ce peuple soi-disant résigné, obéissant, respectueux de l'autorité, mais elles ne cessent de prendre de l'ampleur et se propagent dans le pays depuis l'annonce du redémarrage de la centrale nucléaire de Ôi à Fukui-ken. 
Les analyses et commentaires du phénomène fusent. Le dernier en date : le Japon serait en train de devenir normal. J'espère bien que non.
Le 16 juillet au parc Yoyogi

Après des semaines, des mois, certaines manifestations deviennent rituelles : celle du vendredi soir, près la Résidence officielle du Premier ministre jusqu'au Parlement (voir un billet précédent sur La Révolution des hortensias). Un ancien premier ministre en 2009/2010, Hatoyama Yukio, y a même pris la parole le 20 juillet pour dénoncer la politique de son successeur, issu du même parti ; et une autre a lieu le samedi ou le dimanche à Funabashi, dans la banlieue proche de Tokyo où réside et est élu député le premier ministre Noda Yoshikiko. Depuis peu, le dimanche, un rassemblement est apparu à Ômiya, dans la banlieue nord, ville de Edano Yukio, actuel ministre de l'Economie et de l'Industrie, ancien porte-parole du gouvernement pendant la crise de l'après 11 mars.
Speech de maires membres de l'association des élus locaux contre le nucléaire
Ceux qui ne peuvent faire les déplacements peuvent suivre les événements en direct sur internet grâce au travail d'un journaliste qui a créé Independant Web Journal et diffuse des reportages des manifestations sur Ustream. Ces images sont suivies par des dizaines de milliers de personnes.
La NHK est la télévision publique qui n'a rien relayé des manifestations jusqu'au 20 juillet
S'ajoutent de grands rassemblements comme celui du lundi 16 juillet, jour férié, jour de la Mer, sous une chaleur de plomb.
Le 16 juillet près du parc Yoyogi
Voici un très vivant et représentatif reportage de 3 minutes, en français, réalisé par le site d'informations en ligne Aujourd'hui le Japon sur la manifestation du 16 juillet dans le parc Yoyogi. Vous aurez droit à une explication de la métaphore de l'hortensia (valable avec le cerisier, etc).

 

La prochaine grande manifestation est prévue pour le 29 juillet avec une ronde autour du bâtiment du Parlement. Je regrette bien de ne pouvoir y participer !
Le 16 juillet au parc Yoyogi
Le 16 juillet, entrée du parc Yoyogi, un policier filme tandis que ses trois collègues en civil prennent des notes
D'autres événements de grande ampleur sont aussi organisés, comme ces deux journées de concerts rock  NO NUKE 2012, qui ont eu lieu les 6 et 7 juillet à Chiba, dans la banlieue est de Tokyo, à l'initiative d'un musicien très célèbre au Japon et dans le monde, Sakamoto Ryûichi. Celui-ci est surtout connu en Europe pour ses musiques de films tels Le dernier empereur de Bertolucci ou Talons aiguilles d'Almodovar. Avec Oé Kenzabûro, prix Nobel de littérature, il fait partie des personnalités respectées et très engagées dans le mouvement antinucléaire.
Le week-end du 6-7 juillet, des dizaines de groupes, dont celui de Sakamoto, se sont succédés sur scène devant 150 000 personnes.
Un groupe étranger était invité, Kraftwerk, groupe allemand de musique électronique qui a fait un tube dans les années 75, Radioactivity.
Ce morceau est devenu emblématique de nombreuses manifestations antinucléaires dans le monde, et à l'occasion de ce concert, le groupe en a fait une version en japonais :


Les caractères qui apparaissent en fond de scène 放射能 signifient radioactivité
Les paroles sont, comme la musique, minimalistes mais efficaces :

チェルノビイリ ハリスバーグ セラフィールド ヒロシマ
チェルノビイリ ハリスバーグ セラフィールド フクシマ
今でも 放射能
今日も いつまでも
フクシマ 放射能
空気 水 すべて
今でも 放射能
いますぐ やめろ
Chernobyl, Harrisburg, Sellafield, Hiroshima
Chernobyl, Harrisburg, Sellafield, Fukushima
There's still radioactivity now
Today and forever
Fukushima radiation
Air, water, everything
There's still radioactivity now
Stop [nuclear power] now
Voici la variation faite sur le même thème musical par le Yellow Magic Orchestra, groupe de Sakamoto Ryûichi reconstitué à l'occasion de ce concert exceptionnel. A noter que Sakamoto laisse sur Youtube la diffusion libre du morceau, car il considère les lois du copyright désuètes à l'ère de l'internet.


Pour en savoir plus, voici un article de fond sur le rôle des musiciens dans la diffusion du mouvement antinucléaire parmi les jeunes (écrit par une journaliste japonaise, en anglais).


vendredi 29 juin 2012

La Révolution des hortensias... 紫陽花革命

La Révolution des hortensias, c'est le nom que s'est donné le mouvement qui s'amplifie de semaine en semaine, toujours plus déterminé, plus jeune, plus battant, indépendant des partis politiques et des syndicats, éperonné par le redémarrage prévu de centrales nucléaires.

Les hortensias, car c'est la saison des pluies et ces fleurs en sont emblématiques. Ils sont d'ailleurs magnifiques cette année. Un signe !
Floraison de pancartes et banderoles bricolées mais un seul et unique slogan :
再稼動反対 Non au redémarrage !
Et beaucoup de jeux de mot avec le nom du premier ministre Noda, qui devient Noだ, c'est No. Autour de sa résidence officielle à Tokyo, 40 000 personnes vendredi 22 juin, et 150 000 à 200 000, le 29 juin ! Quel bruit, a-t-il finement remarqué ! Du bruit seulement ? 

Devant l'affluence, les policiers ont dû finalement concéder toute la chaussée aux manifestants alors qu'en principe il est convenu qu'au Japon une manifestation, pour ne pas déranger la circulation, se cantonne à un couloir. Ce fait est noté et rapporté, un événement en soi.
La semaine dernière, un petit groupe de manifestants pro-nucléaires, issus des rangs de l'extrême-droite, avaient réussi à se faire remarquer mais ce vendredi, même s'ils étaient là, ils ont été engloutis. 
Les hortensias vaincront !

Salary man à la sortie du bureau, pancarte à l'Ipad
 
Défilé style danse traditionnelle
Pancarte dessinée par la graphiste Misato Yugi
Moins gentil, Noda avec les déchets nucléaires
La silhouette de l'Assemblée nationale en arrière-plan

jeudi 3 mai 2012

D'où vient hanami ?... 花見とは


Lorsque Tokugawa Ieyasu choisit le site de Edo en 1590 pour installer le siège de son fief, la cité n'est qu’un petit port de pêche sous un vieux château. Son choix, déterminé par des critères objectifs et modernes, anticipe un développement urbain à venir. Sa vision se confirme puisque Edo est la plus grande ville du monde dès le XVIIIe siècle, avec un million et demi d'habitants (quand Paris ou Londres comptent environ 500 000 habitants ; et Edo devenu Tokyo en 1868 n'arrêtera pas sa croissance), mais le site manque d’une assise historique et culturelle capable d’enraciner la légitimité du pouvoir militaire du shogun instauré à partir de 1603. Bref, ni Edo, ni la dynastie des Tokugawa n'ont une longue généalogie à afficher.
Parc Ueno en avril... 上野公園
Au tout début de l’époque Edo, en 1624, le troisième shogun, Tokugawa Iemitsu décide, d’après un rêve et les conseils d’un moine, de faire construire sur le site de Ueno un vaste temple bouddhique pour assurer la protection de la ville. Ueno se trouve à la limite nord-est de la ville, dite kimon, « porte des démons », direction considérée néfaste. Le premier des édifices bouddhiques construits, Tôeizan Kan’ei-ji, prend la fonction importante de borne protectrice de la ville, et devient le temple tutélaire des Tokugawa. Son implantation inscrit la cité selon les principes d’origine chinoise du feng shui (fûsui, en japonais, « vent et eau »), garants de prospérité. Les règles du fûsui avait déterminé le choix des sites et les tracés des précédentes capitales, Nara, Kyoto, ou de Kamakura, mais n'ont pas été prises en compte à Edo. (Ce qui est bien commode avec le fûsui, c'est qu'on peut toujours s'arranger après coup.)
Certains gardent la place jusqu'au soir, préparent la fête, en attendant les collègues de travail
Autre référence importante, la colline boisée et l’étang de Ueno sont vus comme, en miniature, le lac Biwa dominé par le mont Hiei, sites célèbres proches de Kyoto, la capitale impériale. Le premier temple construit à Ueno est d'ailleurs affilié à un très important monastère du mont Hiei, situé lui aussi au nord-est de la ville, prodiguant protection à la ville et éducation aux princes impériaux.
Par le recours à la valeur mythique des lieux, Iemitsu continue son entreprise de transfert symbolique en faisant  transplanter en grand nombre, sur la colline de Ueno, des cerisiers provenant de Yoshino, site sacré et des plus célèbres, proche des anciennes capitales Nara et Kyoto, et lié également à la famille impériale. 
Parc Ueno, l'allée au milieu de l'étang... 不忍池
La vaste entreprise de construction du paysage de Ueno, avec ses bois de cerisiers et ses temples, énonce que quelque chose d’important commence. L’objectif de cette greffe de meisho, sites célèbres par leur histoire et leur paysage, est de créer un mythe fondateur et des liens symboliques. La transposition de lieux riches d'historicité liés aux capitales impériales (Nara, Kyoto, Yoshino...) dote d’une épaisseur culturelle Edo, nouvelle capitale politique sans grand passé, quasi neuve. 
Par cette scénographie paysagère, le shogounat tente d’enraciner la légitimité de son pouvoir et de renforcer sa souveraineté. La production de ce paysage politique, dans un lieu spécifique qui dépasse l’échelle locale, d’abord participe à la mise en place d’un pouvoir fort et centralisé et puis doit l’incarner. Construire, planter et nommer ont des rôles complémentaires et en miroir. 
Parc Ueno... 上野公園
Mais les choses évoluent un peu différemment. Ueno, par son appropriation populaire, est aussi un espace d’innovation en devenant rapidement l’endroit le plus fameux pour admirer les cerisiers en fleurs. L’engouement des visiteurs transforme en véritable manifestation populaire hanami, qui signifie « voir les fleurs », mais plus spécifiquement celles de cerisiers. 
Dans le creuset de la ville d’Edo, les rites sacrés de la campagne et la culture esthétique issue de l'aristocratie ont fusionné dans des pratiques populaires aux significations renouvelées, dont hanami est le modèle original. « Faire hanami » suivant l’expression japonaise, c’est fêter le renouveau du printemps, les promesses d’une année fertile qui commence, c’est aussi jouir de la profusion explosive et de la beauté éphémère des fleurs tout en restant conscient de la fragilité de ce monde, donc de notre précaire condition. C’est d’abord une occasion de faire la fête à ne pas manquer. Le peuple d’Edo a ajouté un sens hédoniste à ce qui était à l’origine un rituel agraire (rites de fertilité, d'accueil de divinités et d'observation des bourgeons pour prévoir le calendrier agricole) puis une pratique sociale de cour liée à la composition poétique, et qui devient à Edo, d'abord sur la colline de Ueno, une célébration populaire et collective accompagnant le déploiement d'un nouveau paysage urbain.
Parc Ueno... 上野公園
Fêter les fleurs de cerisiers et le printemps peu prendre une tournure subversive en un tel lieu symbolique, le shogounat ne s'y trompe pas, qui tente d'interdire, en vain, ou l'alcool, ou les déguisements, ou la musique, ou les tenues féminines trop voyantes.

Ueno est ainsi décrit : « Les cerisiers au printemps, les fleurs de lotus en été, la pleine lune à l’automne, la neige en hiver. » A Ueno, le peuple d’Edo non seulement prend plaisir à profiter de la floraison des cerisiers au printemps, mais aussi des fleurs de lotus qui couvrent l’étang en été, à contempler la pleine lune qui s’y reflète en automne et à s’émerveiller du paysage enneigé en hiver. Des échoppes vendant de la nourriture ou des souvenirs, des maisons de thé apparaissent au bord de l’étang. Ces promenades sont fréquentées tout le long de l’année selon un calendrier reflétant le rythme de la nature, et diverses pratiques, pas aussi déférentes à l’égard du pouvoir que n’aurait souhaité le shogounat, s'y sont diffusées. 
Et Ueno reste le hot spot de Tokyo lors de la hanami, même si les cerisiers fleurissent partout dans la ville, le long des canaux, au détour d'une rue, et ne sont pas limités à quelques parcs ou lieux célèbres.  

Jardin du Musée national à Ueno... 東京国立博物館の庭園
A l'entrée du parc, deux syndicalistes des chemins de fer font signer une pétition contre la reprise des centrales nucléaires, profitant de la venue de milliers de visiteurs.


jeudi 23 février 2012

Deux journées de rencontres... 脱原発世界会議の二日

Les 14 et 15 janvier derniers ont eu lieu, à Yokohama, deux jours de conférences internationales sur le thème "Un monde sans nucléaire". Une occasion pour tous les groupes, associations, mouvements, de se réunir, d'échanger leurs expériences, des informations, ... et écouter les nombreux intervenants venus du monde entier : de Russie et d'Ukraine pour parler de Tchernobyl, de Jordanie ou du Vietnam où le Japon doit installer des centrales nucléaires, et même de Tahiti, etc.
La soixantaine de tables rondes, conférences, projections de films, accompagnées de concerts qui se sont succédés du matin au soir sur une scène, a attiré 11 500 personnes, surtout des jeunes et des vieux. 
Pétition pour demander un référendum local sur le nucléaire. Les habitants de Tokyo et Osaka ont lancé cette initiative et ont reçu assez de signatures pour obtenir l'organisation d'un vote métropolitain. Les étrangers qui résident au Japon avec un visa permanent peuvent participer à ce type de référendum.

Ce type de rencontres est prisé par les Japonais, organisateurs hors pairs, et elles sont absolument nécessaires car il n'existe pas de mouvements ou de partis représentatifs de la société civile à l'échelle nationale ; au Japon, même les syndicats sont propres à chaque entreprise. Les actions sont donc toujours localisées, sur un problème précis, délimité et concret. Par exemple sur la question du nucléaire, l'action est concentrée pour obtenir la fermeture de telle ou telle centrale, comme celle de Tomari sur l'île de Hokkaidô, ou bien portée par une association locale comme celle des pêcheurs de Fukushima, interdits d'activité, qui luttent pour empêcher les rejets des eaux radioactives en mer.
Opposants aux centrales de Hokkaidô... 北海道の脱原発運動
Association de protection de la côte de Sanriku, Fukushima, contre les rejets radioactifs en mer

Chaque centrale, chaque question, a son groupe local d'activistes, appelé ici "mouvement d'habitants ou de citoyens", qu'il faudrait d'ailleurs plutôt nommer "mouvements  d'habitantes ou de citoyennes" tant les femmes sont présentes dans ces groupes et cela depuis longtemps. 
En effet, les femmes japonaises se préoccupent avant tout de la santé de leur famille, elles sont donc toujours montées au créneau sur les questions des pollutions industrielles ; elles sont diplômées, et en tant que femmes au foyer, elles peuvent dégager du temps pour s'investir dans la recherche de l'information, les réunions, la rédaction de documents, les rendez-vous avec les autorités politiques ou administratives. Les actions portent sur un point particulier mais par une obstination concentrée, elles finissent par porter leurs fruits. Ce mode d'intervention est en fin de compte efficace.
Les militantes contre l'utilisation du Mox, vendu par Areva au Japon, en entendant que j'étais française, ont commencé à me poser des questions sur l'utilisation du Mox en France auxquelles j'étais bien incapable de répondre. La prochaine fois que je pointe mon nez dans une telle rencontre, il faudra que je révise un peu.
Les spécialistes du Mox, opposées à la centrale de Monjû... モックスの専門家になった主婦たち

A l'entrée du centre de conférences, Yokohama Pacifico sur le port de Yokohama, des expositions de photos, tirages en noir et blanc des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, à côté de grands formats en couleurs d'images prises dans la zone d'exclusion de Fukushima. Toujours ce lien marqué entre ces trois événements pour souligner à la fois, le péché originel du nucléaire, d'abord militaire, la malédiction atomique du Japon, et l'indécence du choix de l'énergie nucléaire vis à vis des victimes, argument moral qu'avance toujours le prix Nobel de littérature, Oé Kenzaburo. Quelque chose de l'hybris qui s'empare des humains, de la démesure orgueilleuse et oublieuse des risques transparaît dans ces événements, Hiroshima, Nagasaki, Fukushima, que relie une dimension hors nature, littéralement monstrueuse. 
Chiens abandonnés errant dans la zone d'exclusion. Écrit sur le portique d'entrée de cette bourgade : "L'atome, énergie d'un avenir radieux"

Un représentant français était Paul Jobin, qui enseigne la sociologie du Japon à l’Université Paris Diderot et travaille sur les enjeux contemporains en santé publique. Il a publié le livre Maladies industrielles et renouveau syndical au Japon, qui part des premières pollutions dans des mines de cuivre au 19e siècle, aborde les combats fondateurs des populations contre l'usine chimique Chiso, cause de la redoutable maladie de Minamata due à la pollution des eaux de mer par des rejets de mercure à la fin des années 50 dans le sud du Japon. La reconstruction des liens à la nature abimée, à travers le renouveau de fêtes rituelles locales, de moments de partage par la communauté touchée devient la base d'actions contre les pouvoirs économiques et politiques. 
Groupe "Forêts du Japon, réseau biomasse"
Un arbre des propositions, à côté d'arbres des souhaits ou des pensées... 提案の木、希望の木、思考の木

Bien sûr, tout cela forme un fond pas très rigolo mais l'ambiance dans le centre de conférences vibrant comme une ruche, avec des ateliers en continu pour les enfants des participants, n'a rien de mortifère ou morbide. Au contraire ; c'est la vie sous toutes formes d'expressions qui surgit, avec ce côté bon enfant qui nous semble à nous Français (portés sur le concept, l'abstrait, la pensée universalisante, le militantisme prise de tête), un peu naïf, parfois presque niais. Mais l'absence de prétention donne en fait beaucoup de force. 
Échanges dans la salle des associations... NPOの部屋にある交流
Groupe amateur de musique et danse hawaïenne de la préfecture de Gunma devenu  anti-nucléaire à la suite de la forte contamination de la région... 群馬県のハワイアンダンスと脱原発運動の会
Dans le Japon ancien, on croyait que les séismes et tsunami étaient causés par un gros poisson-chat vivant sous terre qui se mettait à bouger. Ses mouvements étaient le signe du mécontentement des forces profondes de la nature contre l'impéritie des puissants et gouvernants. Les cataclysmes naturels offraient donc de fortes occasions de remettre en cause les pouvoirs en place. Pour beaucoup de Japonais, cette crise révèle aujourd'hui, de la même façon, les inconséquences de l’État et des bureaucrates. Jusqu'où ira la contestation ?





jeudi 22 septembre 2011

J'y étais aussi... 私もいました


Moi aussi, j'étais là, parmi les 20 000-selon-la-police-60 000-selon-les-organisateurs. En fait, la police devant le ridicule de son estimation a finalement, au lendemain de la manifestation, renoncé à donner un chiffre.

Effet graphique avec les idéogrammes... 漢字のグラフィックデザイン

Lundi 19 septembre, jour férié en l'honneur des anciens, était organisée une manifestation à l'appel de nombreuses personnalités dont le prix Nobel de littérature Oe Kenzaburô ou le musicien Sakamoto Ryûichi. 
Le mot d'ordre : 50 000 personnes pour dire au revoir au nucléaire. Les médias qui n'ont cessé de survoler le rassemblement avec leurs hélicoptères confirment que l'objectif a été dépassé. Comme dit un participant, au Japon, on est long à démarrer mais quand on s'y met...
J'y suis donc allée, pour apporter mon modeste soutien et aussi ressentir l'ambiance, saisir des indices sur les mouvements profonds qui travaillent la société japonaise en ce moment. Entre deux typhons, sous un ciel plombé et une chaleur lourde sans le moindre souffle d'air, le rassemblement avait lieu dans le parc Meiji. La ville de Tokyo ne possède pas de véritable place, les espaces ouverts y sont rares. La culture de la manifestation publique a donc des difficultés à s'y déployer.
A l'entrée du parc Meiji... 明治公園の入り口

Depuis l'inauguration à Tokyo de Hibiya kôen en 1903, premier parc public du Japon, pourvu d'une vaste esplanade enherbée, les manifestants ont pris l'habitude de se regrouper dans les parcs publics. Ils réitèrent ainsi un événement fondateur lorsque des opposants à la signature du traité de paix nippo-russe en 1905, jugé défavorable au Japon alors que celui-ci venait de mettre une pâtée aux armées du tsar à Port-Arthur, ont rallié le parc Hibiya. Ce premier rassemblement moderne avait dégénéré en violente émeute. Ce parc a été plus tard le cadre des affrontements récurrents entre étudiants et policiers durant les années 1960. Et de façon rituelle aujourd'hui, les parcs accueillent les rassemblements du premier mai. 
Repos sous les arbres... 木の下で一休み

Lundi dernier, du parc Meiji plein à craquer, sont partis trois défilés dans des directions différentes, d'abord bien canalisés par la police et ses cordes. Pas question de laisser envahir la chaussée. On a le droit de manifester, d'accord, mais ça n'est pas une raison pour perturber le trafic. Donc on défile sur les trottoirs, ou bien sur une moitié de la chaussée, en s'arrêtant aux feux rouges avant de traverser. Mais lundi, la police a dû remballer assez vite son matériel et ses prétentions de mise au pas, pour se résigner à laisser la chaussée entièrement envahie, signe de réussite incontestable. 
Éventail porte-slogan (Good bye les centrales nucléaires), avec un motif végétal de saison... 
スローガンと季節の模様が付いている団扇

L'âge moyen des participants, autant de femmes que d'hommes, est plutôt élevée, aux alentours de 60 ans. Peu de très jeunes, style étudiants ; quelques trentenaires, visiblement des artistes, des musiciens. Parmi les adultes encore jeunes, dominent en nombre les femmes, souvent en petits groupes, avec leurs enfants. Ce n'est pas étonnant car au Japon ce sont les mères au foyer, avec un haut niveau d'éducation et habitant les grandes villes, qui constituent les groupes les plus actifs, pour ne pas dire activistes, concernant la défense de l'environnement, les luttes contre les pollutions industrielles, la promotion de l'agriculture biologique ou les mouvements antinucléaires.
Parmi les participants, je remarque de très nombreux syndicats ou associations de médecins, repérables à leurs bannières. Des groupes d'agriculteurs aussi, des syndicats divers, des militants pour la création d'un parti vert mais les médecins sont visiblement montés au créneau en nombre. 


La référence à Hiroshima est parfois faite mais surtout un lien est établi entre l'abandon du nucléaire et le maintien de l'article 9 de la Constitution qui inscrit le renoncement à jamais à la guerre ou à la force. Cet article pacifiste qui caractérise la Constitution dont le Japon s'est doté après guerre, est menacé régulièrement par divers gouvernements qui souhaitent pouvoir déployer des forces armées sur des terrains extérieurs. Le premier ministre ultralibéral Koizumi (de 2001 à 2006) a failli arriver à cette fin pour envoyer des troupes combattantes dans le conflit en Irak aux cotés des Américains. L'abrogation de cet article, même au sein du PLD (parti libéral démocrate, droite) soulève des résistances. De nombreux Japonais montrent un véritable attachement à cette spécificité constitutionnelle, alors que le Japon entretient des litiges territoriaux avec ses trois voisins (Russie, Chine et Corée). 
Bref, de nombreux slogans peints ou écrits réunissent le non au nucléaire et le oui à la paix.