« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

mercredi 14 décembre 2011

Decon, suite sans fin...デコン、完結なし続き

Résumé de la situation pour qui aurait raté un épisode :

Le Japon ne peut se permettre l'option Tchernobyl, c'est à dire condamner une portion de son territoire pour cause de radioactivité.

Le pays se trouve donc dans l'obligation de "nettoyer" (c'est l'euphémisme officiel employé, clean クリーン) de larges étendues et de traiter de monstrueuses quantités de matériaux : végétaux et sols contaminés issus principalement des cinq préfectures autour de la centrale de Fukushima, débris et gravats laissés par le tsunami et pollués par la radioactivité, auxquels s'ajoutent des résidus secrétés de diverses façons par le désastre nucléaire, qui surgissent au fil du temps et bien au-delà de Fukushima.
Seulement dans la zone d'exclusion de 30km, les décombres du séisme et du tsunami atteignent 500 000 tonnes.

Les carpes du mois de mai qui flottent après le tsunami... 津波の後のこいのぼり
L’état prend en charge le "nettoyage" de la zone d'exclusion et de tous les sites où la radioactivité est supérieure à 20 millisieverts/an. Ailleurs, ce sont les municipalités avec des aides financières publiques qui s'occupent de la decon. Des essais sont en cours, eau sous pression, brossage, aspirateurs de feuilles, afin d'élaborer des directives officielles qui seront données en janvier.
Pour réduire les volumes, il est envisagé d'incinérer tout, même la terre, mais les cendres issues de la combustion, concentrées, ont des taux de radioactivité bien supérieurs aux matériaux d'origine. Le Gouvernement a décidé la récupération des cendres chargées de plus de 8 000 Bq/kg pour contrôler leur stockage en containers et éviter les fuites. Les lieux et modes de stockage n'ont pas encore été fixés. Pendant un temps, c'est la préfecture de Fukushima elle-même, fichue pour fichue, qui était désignée pour entreposer toutes les matières indésirables. Devant l'émoi suscité par ce sacrifice consommé, rien n'a été encore tranché. C'est vrai que ce serait une "solution rationnelle" mais c'est aussi une condamnation définitive difficile à assumer, alors qu'officiellement les efforts de "nettoyage" doivent permettre aux habitants de revenir chez eux.

En dessous de 8 000 Bq/kg, les cendres finissent dans les cimenteries, donc in fine mélangées dans du béton, ou bien déposées avec des résidus d'incinération ordinaires dans les comblements artificiels faits sur le littoral, notamment en baie de Tokyo (umetate-chi). 

Le 24 août dernier, il est brusquement apparu que 42 incinérateurs publics, traitant les déchets ménagers ordinaires, répartis dans 7 préfectures dont celle de Tokyo, contenaient des cendres avec des taux de radioactivité supérieurs à 8 000 Bq/Kg. Ils ont dû stopper leurs activités avant qu'une solution ne soit trouvée pour les désengorger. Laquelle ? Je ne sais pas. En tout cas, en ne brûlant que des déchets ménagers ou de jardin a priori "normaux", ces incinérateurs se sont trouvés saturés de résidus radioactifs, et cela jusque dans Tokyo.
Tests de decon professionnelle, préfecture de Fukushima, toit d'une mairie. Eau chaude, eau froide, circuit fermé, huile de coude et couleurs pop. En janvier, des directives vont être données en fonction de ces essais... デコンの専門的なテスト (photo Asahi )

Le même problème avait surgi plus tôt dans les stations d'épuration qui, après les pluies ayant rabattu au sol le nuage radioactif du mois de mars, se sont remplies d'eaux de ruissellement fortement contaminées puis saturées de boues fortement radioactives. La solution adoptée pendant l'été, présentée dans un reportage de la NHK : une dispersion de containers dans de petits sites clos et soi-disant sécurisés, situés par-ci par-là à la campagne, parfois au beau milieu des rizières ; cela, exécuté sans consultations ni informations des habitants, évidemment aussi inquiets que mécontents, qui s'organisent en associations pour pouvoir contrôler les contrôles.

Le Gouverneur de Tokyo (80 ans aux prunes) a décidé, sans aucun débat public, d'accepter des débris contaminés du tsunami en provenance de petites communes du littoral qui n'ont bien sûr pas la capacité d'absorber ces montagnes de déchets (il leur faudrait 20 ans). Ils seront brûlés dans les différents incinérateurs publics de Tokyo, en ville. Le premier convoi est arrivé début novembre et le programme doit se poursuivre jusqu'en mars 2013 pour traiter 100 000 tonnes. Les déchets contaminés sont mélangés avec un ratio de 1/10 avec d'autres. Osaka vient d'emboîter le pas à Tokyo, et comme à Tokyo, l'opposition des populations est très forte. En tout, les trois préfectures littorales (Miyagi, Iwate, Fukushima) ont 22 millions de tonnes de décombres à partager. Finalement, devant les réticences des habitants, la pédagogie est mise en œuvre : premier test d'une série effectué hier 13 décembre, mesures des matériaux, des fumées et des résidus, mise en ligne des données, etc.
Malgré (ou à cause de) ces efforts, les Japonais ont de plus en plus l'impression de servir de cobayes exposés une radioactivité faible mais permanente et généralisée dont on connait mal les conséquences à long terme. C'est ce sentiment qui revient souvent dans les constats sur la situation.

Conclusion à ce jour : la "décontamination" ne fait aucunement disparaître la radioactivité mais ne fait que la déplacer, et donc, la répand partout.

Sur cette question des décombres et de leur dispersement, la vidéo en français sur "les débris maudits du Japon" faite par le journal Aujourd'hui le Japon est un bon résumé.




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