« Faire d'un événement, si petit soit-il, la chose la plus délicate du monde, le contraire de faire un drame, ou de faire une histoire. »

Gilles Deleuze, Dialogues

mercredi 19 septembre 2012

Les nuages d'été à Tokyo... 東京の夏雲

En été au Japon, se forment de gigantesques cumulonimbus qui créent un ciel très spécifique, un paysage changeant fait de masses impressionnantes qui flottent au dessus de la ville. Ce sont les nuages d'été, natsugumo, qui donnent parfois des orages en fin de journée.
Depuis le début septembre, la température reste au-dessus de 30 degrés, et les nuages se font et se défont dans un ciel céruléen.
Tous les nuages ne sont pas radioactifs, espérons-le...

L'étranger

- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis?
-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Baudelaire, Petits poèmes en prose, I (1869)

 

巴里の憂鬱 ボードレール 三好達治訳  異人さん ――お前は誰が一...

巴里の憂鬱
ボードレール 三好達治訳 (新潮文庫)

異人さん

――お前は誰が一番好きか? 云ってみ給え、謎なる男よ、お前の父か、お前の母か、妹か、弟か?
――私には父も母も妹も弟もいない。
――友人たちか?
――今君の口にしたその言葉は、私には今日の日まで意味の解らない代ものだよ。
――お前の祖国か?
――どういう緯度の下にそれが位置しているかをさえ、私は知っていない。
――美人か?
――そいつが不死の女神なら、欣んで愛しもしようが。
――金か?
――私はそれが大嫌い、諸君が神様を嫌うようにさ。
――えへっ! じゃ、お前は何が好きなんだ、唐変木の異人さん?
――私は雲が好きなんだ、……あそこを、……ああして飛んでゆく雲、……あの素敵滅法界な雲が好きなんだよ!

Le motif du nuage est récurrent dans la poésie japonaise, formant un ensemble de symboles introduits par la tradition chinoise et associés au thème du voyage.  Celui-ci est bien davantage qu'un déplacement dans l'espace, il est expérience de la précarité, du désarroi, une métaphore de la destinée humaine.
Le nuage évoque ce qui est éloigné, voire inaccessible : les cieux et les cimes, les contrées lointaines, mais aussi le palais Impérial, le séjour des Immortels ou du Bouddha, l'élévation spirituelle. 
Le nuage est symbole d'impermanence, de fragilité. L'eau s'écoule et les nuées s'évaporent, images de la fuite perpétuelle du temps et de l'impermanence de toute chose.
Le nuage, flottant, défait par le vent, est aussi image de l'errance, du désarroi. Le voyageur en pérégrination est "compagnon des nuages".
Les nuées qui couvrent la lune, clarté dans la nuit qui symbolise l'enseignement spirituel du Bouddha, figurent l'ignorance.

De montagnes ignorées
En montagnes ignorées
Me voici venu,
Des nuages sans sillage
le sillage poursuivant 

Fujiwara no Yoshitsune (1169-1206)

Ciel de voyage : 
Ces nuages qui s'élèvent et flottent
Serait-ce donc moi ?
Qui n'ai route ni étape
Alors que soufflent les bourrasques

Munenaga-shinnô (1311-1385)

(Traduction de Jacqueline Pigeot, Michiyukibun. Poétique de l'itinéraire dans la littérature du Japon ancien)
 
Le motif du nuage fond ainsi de multiples sens : éloignement, précarité, flottement, égarement, que l'on retrouve dans le thème du voyage. Et aussi dans le poème de Baudelaire !


Et conclusion provisoire, une trouvaille internet, haiku inédits écrits par un certain capitaine Murakami lors de sa mobilisation en Chine pendant la guerre, traduits en français par sa fille qui vit en France, Etsuko Hourcade.

Marchons, courons,
Saisissons
La crête du nuage d’été


Bref repos,
Couchés, on contemple
Les nuages de l’été


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